(Agence Ecofin) - Au Kenya, les manifestants réclament désormais le retrait pur et simple du projet de Loi de finances 2024. Mais la crise dans le pays met en lumière un problème qui touche d’autres pays africains, celui de la conciliation des impératifs de réformes avec les réalités socio-économiques des plus pauvres.
Le Kenya continue de s’enfoncer dans la crise sociale, malgré le retrait de plusieurs taxes contestées. Ayant démarré pacifiquement il y a plusieurs jours, les protestations contre la hausse des taxes prévues dans la Loi de finances 2024 ont dégénéré en contestations violentes contre le pouvoir du président William Ruto. Après une répression de la police qui aurait fait au moins cinq morts, selon plusieurs sources concordantes, le gouvernement a fait appel à l’armée pour calmer les violences.
Ces manifestations interviennent dans un contexte déjà marqué par une forte hausse du coût de la vie en lien notamment avec les réformes économiques qui ont poussé les autorités à supprimer de nombreuses subventions. Face à une pénurie de financement, le Kenya, comme d'autres pays africains, doit faire des choix économiques difficiles. Depuis la pandémie de covid-19, les pays africains luttent pour trouver des financements afin de maintenir leur résilience économique et mettre en place des mesures sanitaires et sociales. La crise ukrainienne a aggravé ces difficultés. Beaucoup de pays se sont tournés vers la Banque mondiale et le FMI, qui conditionnent leur aide à des réformes macroéconomiques impopulaires, comme la suppression des subventions sur l'énergie.
Confronté à des pressions de la dette (54,7% de la dette publique est détenue par des créanciers extérieurs) ainsi qu’à des impératifs de développement, le Kenya a donc choisi de miser sur l'amélioration de la collecte des impôts pour mobiliser des ressources intérieures et répondre à ces défis, plutôt que d'emprunter sur les marchés étrangers, comme le recommandent de nombreux bailleurs de fonds. Conséquence, ce nouveau système fiscal impacte directement le quotidien d’une frange jeune et pauvre de la population, qui se retrouve face à la menace de devoir payer plus cher le pain, le carburant ou les transactions via mobile money, qui sont trois des mesures qui étaient prévues dans la Loi de finances. Ce, dans un contexte où l’inflation a atteint 5,1% en mai, principalement tirée par les produits alimentaires et les transports.
Face à la grogne populaire, William Ruto avait finalement décidé de reculer sur plusieurs points notamment en adoptant des modifications dont la suppression de la TVA sur divers produits essentiels, l'absence d'augmentation des frais de transfert d'argent mobile, la limitation de l'éco-prélèvement aux produits importés, et la protection des agriculteurs locaux avec des droits d'accise sur certains produits importés. Alors que des images montrant des installations du Parlement saccagées par les manifestants circulent sur les réseaux sociaux, le chef de l’Etat, qui cristallise désormais toutes les critiques est apparu à la télévision nationale ce mardi soir.
« Aujourd'hui, le Kenya a subi une attaque sans précédent contre sa démocratie, l'Etat de droit et l'intégrité de ses institutions constitutionnelles. Il est inconcevable que des criminels prétendant être des manifestants pacifiques puissent semer la terreur parmi les gens, leurs représentants élus et les institutions établies par notre Constitution et s'attendre à rester impunis. Nous devons séparer le crime de l'expression démocratique et distinguer les criminels des personnes exerçant leur liberté d'expression et d'opinion divergente » a-t-il déclaré. « Le gouvernement respectera donc son mandat constitutionnel de sécuriser notre nation et son développement, en considérant chaque menace à la sécurité nationale et à l'intégrité de notre État comme un danger existentiel pour notre République. En conséquence, j'assure aux Kényans que nous fournirons une réponse complète, efficace et à la hauteur des attentes face aux événements traîtres d'aujourd'hui », a-t-il ajouté.
Désormais, les manifestants réclament un retrait pur et simple du texte, craignant qu’il ne serve de cheval de troie pour réintroduire d’une manière ou d’une autre les taxes supprimées. Bien qu’ayant condamné les violences, William Ruto s’est dit ouvert à poursuivre les discussions avec la jeunesse, mais de manière à « respecter et honorer les valeurs fondamentales sur lesquelles notre nation est établie, à savoir : le constitutionnalisme, l'Etat de droit et le respect des institutions ».
Même si le calme finit par revenir dans le pays est-africain, la difficile équation des réformes économiques nécessaires et de la prise en compte des conditions sociales d’une large partie de la population devra encore être résolue par les dirigeants kényans, comme cela est déjà le cas pour plusieurs de leurs pairs africains.
Moutiou Adjibi Nourou
Yaoundé, Cameroun.