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Issad Rebrab : quand l’entrepreneur emblématique de l’Algérie jette l’éponge

  • Date de création: 23 avril 2022 09:30

(Agence Ecofin) - Il y a cru toute sa vie : pour lui l’Algérie dispose d’un potentiel énorme qui lui permettrait de rejoindre rapidement le peloton les pays développés. Mais aujourd’hui, Issad Rebrab se retire des affaires, amer. Il aurait tant voulu que sa réussite personnelle devienne celle de tous les Algériens. 

Le vendredi 15 avril 2022 en Algérie, le quotidien Liberté a arrêté ses activités. Avec la fin des publications de ce média présent dans le paysage local depuis près de 30 ans, c’est un peu un retrait du devant de la scène qu’opère le milliardaire Issad Rebrab. Après avoir été condamné à la prison en 2019, il avait laissé la direction du groupe Cevital à son fils cadet Malik. Avec la fermeture de Liberté, il semble solder ses comptes avec la politique algérienne et se diriger vers une vie de discrétion et de paix, si possible. Etonnant pour celui que le magazine Forbes classe 7ème fortune d’Afrique avec 4,8 milliards USD.

Pour l’amour d’une mère

Parfois, en regardant le CV d’Issad Rebrab, beaucoup sont surpris par sa formation d’origine : expert-comptable. Pour le patron du groupe Cevital, cette formation semblait pourtant évidente. « Dans notre village, notre voisin était aide-comptable à Alger. Ma maman le glorifiait. Je me suis alors dit que je voulais faire ce métier… pour être glorifié par ma mère ». L’approbation maternelle a joué un rôle important dans la vie du milliardaire.

« Dans notre village, notre voisin était aide-comptable à Alger. Ma maman le glorifiait. Je me suis alors dit que je voulais faire ce métier… pour être glorifié par ma mère ».

Né le 27 mai 1944 d’une famille modeste dans la willaya de Tizi Ouzou, il a vu sa mère souffrir de la mort de son frère ainé. « Mon frère a laissé sa vie pour l’indépendance de l’Algérie. Il a pris le maquis à 18 ans, en 1956, nous l’avons revu en 1958, puis jamais plus », confie-t-il.

Dans une interview, le milliardaire raconte également comment il n’a pas pu participer à un voyage scolaire parce que sa mère n’avait pas les moyens de lui acheter le repas recommandé par l’école : une demi-baguette de pain et une boite de sardines. « Elle n’avait pas de quoi me payer une boite de sardines et un demi-pain. Ça donne une rage incroyable de vouloir travailler et réussir ». Déterminé, le jeune Issad met toute son énergie dans ses études. Il réussit, grâce à une bourse, à les poursuivre en France. Il entame un cursus en comptabilité, d'abord aux Cours Pigier de Thionville, puis les poursuit dans un lycée jésuite à Metz.

De retour en Algérie, il s’inscrit à l’école normale pour devenir enseignant, mais très vite il est lassé par les premiers mois de pratique. En 1968, il crée son cabinet de comptable. « Un client m'a proposé de prendre des parts dans sa société de construction métallurgique et sidérurgique, (la Sotecom, Ndlr.). J'ai pris des risques calculés. Au pire, je savais que je pourrais toujours retourner dans l'enseignement ». En 1971, il acquiert 20% des parts de ladite société. Ce sera le début de la plus grande success story de l’entrepreneuriat algérien.

Un succès inédit dans les affaires

Après avoir intégré la Sotecom, Issad Rebrab se rend compte du potentiel du secteur. Il crée alors ses propres entreprises, Profilor en 1975, puis Metal Sider en 1988. En 1992, il se diversifie en créant Isla, une entreprise spécialisée dans la vente de viande halal. Durant les années 90, il va amasser d’importants revenus.

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« Ma seule ambition est de contribuer au développement de l'économie de mon pays. »

Mais c’est en 1991 qu’il va prendre une autre envergure sur la scène publique : cette année-là, il est sollicité par le pouvoir en place pour lancer un journal. Le régime craint en effet que les médias existants ne soient pas favorables à sa cause très longtemps. C’est ainsi qu’avec des partenaires, Issad Rebrab fonde le quotidien « Liberté ».

Le journal reçoit comme bureau l’ancien siège de l’Institut des sciences politiques, situé rue Ben M’Hidi, au cœur d’Alger. Il permet à Issad Rebrab de se rapprocher du pouvoir, même si ce dernier affirme, et plusieurs sources le confirment, n’avoir jamais versé de pots-de-vin. Cette proximité avec le gouvernement favorise ses affaires. Il devient durant les années suivantes l’un des industriels les plus importants du pays, une belle progression qui connait son premier accroc en 1995. Cette année-là, trois de ses usines sont la cible d’attentats terroristes. Se sentant menacé, il quitte l’Algérie pour la France, et ne reviendra qu’après la guerre civile.

Cette année-là, trois de ses usines sont la cible d’attentats terroristes. Se sentant menacé, il quitte l’Algérie pour la France, et ne reviendra qu’après la guerre civile.

Il décide alors de se lancer dans l’agroalimentaire. En 1998, il crée le groupe Cevital qui deviendra la plus importante entreprise privée algérienne avec 12 000 employés, et se distinguera comme le principal annonceur de la télévision publique algérienne. Il devient parallèlement le leader du secteur du sucre, construisant pour les activités de Cevital la plus grande raffinerie du monde, dotée d’une capacité de production de 2 millions de tonnes par an. Grâce à lui, l’Algérie passe du statut d’importateur de sucre et d’huile à celui d’exportateur.

En 1999, Abdelaziz Bouteflika devient président. Toufik Mediène et Saïd Sadi, deux amis d’Issad Rebrab, sont proches du nouveau chef de l’Etat. Le premier a parrainé sa candidature et le second a appelé publiquement à l’élire. La présence de ces deux personnages permet à l’industriel de continuer à mener ses affaires sans obstacles. De 1999 à 2015, sa fortune s’accroit à un rythme inouï. « Le chiffre d’affaires de son groupe est passé lui, d’une quarantaine de millions de dollars en 1999 à quatre milliards de dollars quinze ans plus tard », assure le média Middle East Eye.

« Le chiffre d’affaires de son groupe est passé lui, d’une quarantaine de millions de dollars en 1999 à quatre milliards de dollars quinze ans plus tard », assure le média Middle East Eye.

Egalement concessionnaire de la marque automobile Hyundai à une époque où elle vend près de 40 000 véhicules par an en Algérie, Issad Rebrab devient rapidement l’homme le plus fortuné du pays. Il devient aussi le premier Algérien à faire partie du classement Forbes des milliardaires.

Il acquiert des entreprises à l’étranger, notamment en France et en Italie. Il est nommé patron du forum des chefs d’entreprise, poste qu’il va occuper jusqu’à sa brouille avec le pouvoir.

L’opposition à Bouteflika et le vent qui tourne

En mai 2014, Issad Rebrab démissionne du FCE. « Je ne peux rester et m'asseoir avec des confrères qui, au lieu d'essayer de travailler à promouvoir l'économie nationale, tentent d'avoir des faveurs en enfonçant leurs confrères », explique-t-il. Il reproche aux hommes d'affaires d’avoir soutenu la candidature au quatrième mandat d'un Abdelaziz Bouteflika dont l’état de santé est déjà préoccupant. Beaucoup le taxent alors de donneur de leçons alors qu’il s’est enrichi sous ce même président.

Il reproche aux hommes d'affaires d’avoir soutenu la candidature au quatrième mandat d'un Abdelaziz Bouteflika dont l’état de santé est déjà préoccupant.

D’autres encore lui reprochent de ne pas donner les réelles motivations de ce positionnement. Or, il se trouve que Toufik Mediène, son ami mentionné plus haut, a des relations tendues avec le chef d’état-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah, qui réussira à le pousser vers la sortie en 2015. Toufik Mediène se lance alors dans l’opposition. Pour certains, c’est là que se trouve la vraie raison du positionnement d’Issad Rebrab. Ce à quoi le milliardaire répond : « Ma seule ambition est de contribuer au développement de l'économie de mon pays, en créant des richesses et des emplois pour nos jeunes ». Il sera malgré tout happé dans cet affrontement politique.

En 2016, il est mis en cause dans les révélations des Panama Papers qui écornent sérieusement son image. On l’accuse d’avoir menti sur ses bonnes pratiques durant sa carrière entrepreneuriale. Plusieurs de ses projets se retrouvent bloqués par les autorités.

Il se joint alors aux manifestations du Hirak pour demander le départ du pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika.

Malgré tout, lorsque le président algérien est contraint d’abandonner le pouvoir, Issad Rebrab est pris dans la chasse aux proches du pouvoir qui s’ensuit. Il est poursuivi par le nouveau régime pour « infraction à la législation et à la réglementation des changes et des mouvements de capitaux de et vers l’étranger », « faux et usage de faux » et « fausse déclaration douanière ». On l’accuse de surfacturation d’équipements de purification d’eau importés par Evcon, une entreprise appartenant à Cevital. Issad Rebrab est alors condamné à 18 mois de prison, même s’il n’en purge que huit. Pendant son incarcération, ses enfants récupèrent les postes de responsabilité de son empire.

A sa sortie, il se retire progressivement des affaires, allant même jusqu’à mettre fin aux activités de son journal Liberté, devenu l’un des tauliers du paysage médiatique local. Il a beau expliquer ce choix par « l’état général récessif de la presse papier » et « l’évolution mondiale des comportements des lecteurs qui s’orientent vers la presse électronique », cela n’empêche pas de remarquer son épuisement et son aspiration à une vie plus paisible. Epilogue donc pour celui qui souhaitait impulser au développement algérien une croissance à deux chiffres ou qui, en panafricain convaincu, rêvait de créer le chemin de fer transafricain d’Ager au Cap.

Servan Ahougnon

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