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Francis Diébédo Kéré, la reconnaissance mondiale d’une architecture africaine

  • Date de création: 19 mars 2022 08:47

(Agence Ecofin) - Depuis 2013, son talent, sa vision singulière de l’architecture et son engagement, ont fait de Francis Diebedo Kéré un nom cité dans les cercles les plus importants de son métier. Désormais vainqueur du prestigieux prix Pritzker, il est assuré de passer à la postérité comme l’un des plus grands architectes de sa génération.

L’architecte Francis Diébédo Kéré est devenu cette semaine le premier Africain à remporter le prix Pritzker, considéré comme le « Nobel de l'architecture ». Si le Burkinabé de 56 ans décrit la distinction comme une « grande surprise », la reconnaissance internationale que reçoit son travail depuis plus de 8 ans laissait entrevoir un tel dénouement. Mêlant avec succès techniques de construction modernes et traditionnelles, il a réussi à devenir un pionnier des bâtiments ‘’durables’’ tout en s’inscrivant dans la tendance actuelle privilégiant l’immobilier écologique.

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« J'étais un simple charpentier »

A l’origine de plusieurs constructions toutes plus impressionnantes les unes que les autres, il ne souhaitait pourtant qu’une chose : construire une école pour son village natal. 

Il était une fois, Gando

Malgré le Pritzker qu’il vient de gagner, malgré les nombreuses distinctions et les chantiers d’envergure qu’il a dirigés, le moment le plus important de sa carrière remonte pour Francis à 2001. C’est cette année-là qu’il a payé sa dette envers son village natal de Gando, en y construisant une école. L’histoire commence en effet dans cette localité du centre-est du pays, où il nait en 1965. Les locaux y vivent de l’activité de quelques fermes, et il n’y a pas d’école primaire. Un jour, le chef du village envoie son fils de 7 ans à Ouagadougou pour y aller à l’école. Selon plusieurs sources, il s’agit même du premier enfant de Gando à être instruit. Ce garçon, c’est Francis Diebedo Kéré.

Un jour, le chef du village envoie son fils de 7 ans à Ouagadougou pour y aller à l’école. Selon plusieurs sources, il s’agit même du premier enfant de Gando à être instruit. Ce garçon, c’est Francis Diebedo Kéré.

En quittant la terre qui l’a vu naître, le jeune garçon se promet d’y construire un jour une école. « Ce n’était pas un rêve, mais simplement l’envie de construire une petite école chez moi », déclare-t-il.

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« C'est une salle de classe où l'on peut s'asseoir, avoir une lumière filtrée qui pénètre comme on veut l'utiliser, sur le tableau noir ou sur un bureau »

Des années plus tard, il passe un CAP (Certificat d’Aptitude Professionnelle) de menuiserie et devient charpentier. Ce métier le décevra assez vite, dans un pays où le bois est rare et les commandes de menuiserie peu lucratives. Un jour, il entend parler de bourses d’études allemandes pour les jeunes des pays en développement. Postulant à l’âge 20 ans, Francis en décroche le sésame et part pour l’Allemagne en 1985. Il y apprend la langue avant de passer son baccalauréat, et une fois le diplôme obtenu, il entame des études d’architecture à l’université technique de Berlin, tout en enchainant les petits boulots pour vivre.

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La Serpentine Gallery à Londres

« Je suis venu à Berlin juste avant la chute du mur. J'étais un simple charpentier. J'ai suivi des cours du soir pendant cinq ans pour terminer mon bac, puis j'ai commencé mes études d'architecture en 1995. Mon but était d'étudier l'architecture très rapidement, puis de retourner au Burkina construire l’école », confie-t-il. Son intérêt pour l’architecture date de l’enfance. « Je me souviens de la pièce où ma grand-mère s'asseyait et nous racontait des histoires. Il y avait peu de lumière. Sa voix à l'intérieur de la pièce nous enfermait, nous sommait de nous rapprocher et de former un cercle sûr. C'était mon premier sens de l'architecture », raconte-t-il.

Cet intérêt devient plus palpable lors des premiers moments de Francis dans son école de Ouagadougou. Avec plus de 100 élèves dans une salle de classe où il fait extrêmement chaud, il commence très tôt à penser optimisation de l’espace, aération et gestion de la lumière dans les bâtiments. Il entrevoit déjà certains défauts qu’il voudrait éviter dans son école à Gando. A ce propos, il n’attendra finalement pas son diplôme (qu’il obtient en 2004) pour aller la construire.

Première construction

En 1998, Francis Diébédo Kéré crée l’association Schulbausteine für Gando (des briques pour l’école de Gando, Ndlr.), pour financer son projet. Grâce aux premiers fonds obtenus, il se procure une presse à brique et décide de démarrer en 2001, malgré un budget serré. Mais pour cela, il doit obtenir l’aval du chef, son père, en plus de convaincre les habitants du village. La tâche s’annonce compliquée, car tout ce beau monde s’attend à voir une école construite sur le modèle occidental, en ciment et en béton. Francis lui a une vision totalement différente. Pour lui, cette école devrait être construite avec des matériaux locaux, en l’occurrence avec de l’argile. 

La tâche s’annonce compliquée, car tout ce beau monde s’attend à voir une école construite sur le modèle occidental, en ciment et en béton. Francis lui a une vision totalement différente. 

Il justifie ce choix en expliquant qu’en plus d’être solides, les briques d’argile (qu’il compte renforcer au ciment) absorbent facilement la chaleur pour fournir une ventilation naturelle aux bâtiments. Ses explications suffisent à convaincre son père, mais la population reste sceptique. Il décide alors de leur permettre de tester ses idées. « Nous avons fabriqué une brique et l'avons mise dans un seau d'eau pendant cinq jours. Nous l'avons ensuite sortie, et la brique était toujours solide », se souvient-il. Pour rassurer encore plus les habitants de Gando, Francis construit une petite structure avec ses briques d’argile. Il propose aux habitants d’en tester la solidité en montant dessus.

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L’expulsion de la chaleur est provoquée par les différences de température entre les volumes. 

Une fois ce test passé, les habitants sont également convaincus et le projet démarre. La construction de l’école permettra au monde entier de découvrir la conception de l’architecture du Burkinabé. Le bâtiment couleur ocre, chaleureux mais bien ventilé, composé de ciment à hauteur de 8%, se distingue à plusieurs niveaux. « Une bonne architecture au Burkina Faso, c'est une salle de classe où l'on peut s'asseoir, avoir une lumière filtrée qui pénètre comme on veut l'utiliser, sur le tableau noir ou sur un bureau », explique l'architecte. Le bâtiment a une masse thermique élevée, retenant l'air frais à l'intérieur et redirigeant la chaleur vers le plafond. Le double système de toiture fait le reste : une surtoiture en tôle ondulée est posée sur un treillis métallique, lui-même reposant sur une voûte de briques. L’expulsion de la chaleur est provoquée par les différences de température entre les volumes.

Les fenêtres à lamelles aident à maintenir la température agréable, mais aussi à contrôler la lumière du soleil dans le bâtiment, ce qui le rend indépendant de l’électricité pour son éclairage en journée. L’école est un véritable succès et sa construction vaudra à Francis Diébédo Kéré sa première récompense.

Une vision singulière de l’architecture

3 ans après sa construction, l’école lui vaut le prestigieux prix d’architecture Aga Khan. Plus que la simple réalisation d’un projet, l’école façonne également la philosophie de l’architecture du Burkinabé.

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Le Lycée Schorge de Koudougou.

Ce dernier opte pour construire avec des matériaux locaux, selon l’environnement où il doit ériger le bâtiment, tout en veillant à impliquer la communauté bénéficiaire. A chaque bâtiment, il veut «construire une source, avec et pour une communauté, afin de répondre à un besoin essentiel et corriger les inégalités sociales ». Francis Diebedo Kéré se fixe alors comme objectif de lancer son bureau d’architecture : « Tout a commencé dans ma cuisine. J’y vivais presque pour dessiner et gribouiller. Ma compagne se plaignait. En 2005, j'ai déplacé le bureau hors de la cuisine, pour préserver la paix de la famille. J'ai commencé à travailler, parfois seul, ou avec un stagiaire ».

En 2006, il remporte l’appel d’offres pour l’école secondaire de Dano, toujours au Burkina. En 2008, l'Aga Khan Development Network le charge de construire un parc national au Mali. « Petit à petit, les choses ont commencé à se développer, et j'ai pu garder certaines personnes et les rémunérer pendant plus d'un an. Mais ensuite, je formais des gens, parce que notre façon de travailler est très différente de ce que l'on enseigne dans les écoles d'architecture. Nous utilisons des techniques très différentes, parfois très anciennes, qui doivent être adaptées en raison de conditions particulières, de la matérialité, de la spécificité du site, du climat, etc. Dans une école de design, on n'apprend généralement pas à adapter tout cela de manière aussi constante, et à gérer les gens en même temps. Aussi, je ne pouvais malheureusement pas payer mes collaborateurs suffisamment, et ils finissaient par repartir. Aujourd'hui, nous sommes entre 12 et 16 architectes, et deux stagiaires rémunérés à plein temps », déclarait-t-il fièrement en 2017.


«Aussi, je ne pouvais malheureusement pas payer mes collaborateurs suffisamment, et ils finissaient par repartir. Aujourd'hui, nous sommes entre 12 et 16 architectes, et deux stagiaires rémunérés à plein temps »

Les contrats d’envergure s’enchaînent. Francis construira notamment les bâtiments du Zhou Shan Harbour Development en Chine, et du Musée des comités internationaux de la Croix Rouge et du Croissant Rouge en Suisse. Ces édifices lui vaudront de nombreuses distinctions (Global Award for Sustainable Architecture 2009, BSI Swiss Architectural Award 2010, Marcus Prize for Architecture 2011, Global Holcim Award Gold 2012). Depuis 2010, il enseigne l’architecture dans la prestigieuse université d’Harvard.

Sur le site internet de son cabinet, il décrit son travail comme une architecture « à la croisée de l’utopie et du pragmatisme, qui nourrit l’imaginaire d’une vision afro-futuriste puisant dans la tradition»

Sur le site internet de son cabinet, il décrit son travail comme une architecture « à la croisée de l’utopie et du pragmatisme, qui nourrit l’imaginaire d’une vision afro-futuriste puisant dans la tradition»

Avec les changements climatiques et la mise en avant des initiatives écologiques, ses bâtiments durables gagnent en reconnaissance. Le Burkinabé ne décide pas pour autant de dormir sur ses lauriers. « Comment puis-je devenir plus attentif dans mon utilisation du matériel ? Et comment puis-je contribuer, dans le cadre de ma profession, à améliorer la situation ? Ces questions m'ont guidé et je pense qu'elles sont au cœur même de ce que mes pairs et les personnes liées à notre domaine devraient se demander », confie Francis Diébédo Kéré. C’est cette perpétuelle recherche et « son engagement pour la justice sociale », ainsi que le « travail dans des pays marginalisés, où les contraintes et les difficultés sont nombreuses et où l’architecture et les infrastructures sont absentes » que vient récompenser le prix Pritzker.

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L’Institut de Technologie du Burkina Faso.

Déjà focalisé sur l’avenir, l’architecte est tourné vers la résolution d’autres problèmes. Sa quête le ramènera peut-être à nouveau vers son pays le Burkina Faso. En effet, il y a un bâtiment qu’il désire ardemment terminer, celui de l’Assemblée nationale de Ouagadougou, détruite après la révolte de 2014. « J’ai été invité pour créer une Assemblée nationale transparente, accueillante et qui héberge un idéal. Je veux créer une espèce de pyramide. Les pyramides viennent de l’Afrique, et je veux que toute la population du Burkina, de l’Afrique, puisse venir monter sur cette pyramide. A cause du terrorisme, les travaux ont été stoppés. Mais j’espère bien qu’ils seront relancés », déclare Francis.

«Les pyramides viennent de l’Afrique, et je veux que toute la population du Burkina, de l’Afrique, puisse venir monter sur cette pyramide. A cause du terrorisme, les travaux ont été stoppés. Mais j’espère bien qu’ils seront relancés »

En attendant, sa plus grande fierté reste l’école de Gando, et pas seulement pour les distinctions qu’elle a reçues. « Ce dont je suis le plus fier, c’est d’avoir réussi à convaincre mon peuple, à Gando, de me laisser y construire cette école, telle qu’elle est », se réjouit le Prix Pritzker 2022.

Servan Ahougnon

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