Tunisie : et si le vrai printemps arabe était celui du droit des femmes ?

(Ecofin Hebdo) - Infatigable et rebelle, la société tunisienne semble désormais s’être érigée en figure de proue des révolutions les plus contestataires du monde arabe, ces dernières années. Après avoir été la terre de la révolution de Jasmin qui a enclenché une vague de soulèvements populaires et anti-dictatoriaux au Maghreb et dans le monde arabe, le pays est aujourd’hui au centre d’un débat sur des réformes permettant une meilleure garantie au droit des femmes dans un environnement islamique réputé très conservateur.

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L’exception tunisienne

Si, un peu partout dans le monde arabe, la condition difficile des femmes est constamment dénoncée par de nombreuses associations, le cas tunisien constitue quelque peu une exception. Déjà, dès les indépendances, le pays avait amorcé une stratégie de valorisation de la place de la femme à travers l’adoption de plusieurs lois allant dans ce sens. Ainsi, dès 1956, année de son indépendance, le pays accorde le droit de vote aux femmes, 12 ans seulement après la France. Le pays s’est donc très tôt engagé sur la voie de la promotion des droits de la femme, à travers l’abolition de la polygamie et la reconnaissance du droit au divorce à la femme (code du statut personnel de 1956).

Même si plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer un « féminisme d’Etat », instrumentalisé par les régimes autoritaires des présidents Habib Bourguiba et Ben Ali, il n’en demeure pas moins que ces réalisations, quoiqu’encore perfectibles, ont hissé la Tunisie au plus haut rang des pays accordant une place importante à la femme dans le monde arabe.

La nouvelle loi qui pénalise « toutes les formes de violences faites aux femmes » et abolit la disposition pénale qui permettait à un violeur d’échapper aux sanctions pénales s’il épousait sa victime, a été saluée partout dans le monde comme une avancée majeure.

D’après Human Rights Watch (HRW), les instruments juridiques du pays, mis en place en 2017 pour lutter contre les violences faites aux femmes seraient « très complets ». La nouvelle loi qui pénalise « toutes les formes de violences faites aux femmes » et abolit la disposition pénale qui permettait à un violeur d’échapper aux sanctions pénales s’il épousait sa victime, a été saluée partout dans le monde comme une avancée majeure.

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La nouvelle loi qui pénalise « toutes les formes de violences faites aux femmes.»

Avec la permission désormais accordée aux femmes d’épouser des non-musulmans, c’est une énorme partie de la structure « islamo-législative », réputée anti-progressiste, qui s’en retrouve ébranlée.

 

L’égalité dans la succession : dernier obstacle majeur vers la parité homme-femme ?

Aujourd’hui, le débat qui agite la société tunisienne, mais également le monde arabe, concerne l’égalité entre les hommes et femmes concernant la succession. En effet, selon les lois et pratiques en vigueur, et conformément à la charia, les femmes, quelles que soient leurs conditions, n’héritent que de la moitié de la part d’un homme. 

Ainsi, s’insurgeant face à une loi qui remettrait en cause « l’identité religieuse de la Tunisie » plusieurs voix s’élèvent pour appeler à rejeter cette loi.

Le projet de loi visant à instaurer une égalité entre les deux sexes dans la succession s’est heurté, comme l’on pouvait s’y attendre, à une vague de contestations issues des couches les plus conservatrices de la société. Ainsi, s’insurgeant face à une loi qui remettrait en cause « l’identité religieuse de la Tunisie » plusieurs voix s’élèvent pour appeler à rejeter cette loi. Dans le camp des progressistes par contre, la réforme est saluée et défendue au nom de « l’égalité des citoyens et des citoyennes devant la loi sans discrimination » inscrite à l’article 21 de la constitution de 2014.

 

Un contexte social et régional rétif aux réformes ?

La polémique qui enfle actuellement s’inscrit dans un contexte spécial où la femme occupe une place particulière dans la société maghrébine en général. En effet, si les lois concernant les femmes sont différentes d’un pays à un autre, elles ont souvent été dénoncées au même titre par diverses associations, comme portant atteinte aux droits dont les femmes sont censées jouir… du moins dans un monde moderne. Fortement influencées par la charia qui réduit considérablement le rôle de la femme au sein de la société au profit de l’homme, les dispositions légales concernant les femmes, dans des pays comme le Maroc, l’Algérie ou encore l’Egypte, ont souvent été l’expression d’un islamisme de plus en plus politique et de plus en plus d’obédience wahhabite. L’égalité homme-femme, que voulaient promouvoir certains systèmes étatiques plus tournés vers le modernisme, s’est malheureusement heurtée au fil des années à un conservatisme social qui se pose en gardien des traditions et préceptes islamiques transmis à travers le Coran.

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La Tunisie s’est donc très tôt engagée sur la voie de la promotion des droits de la femme.

Selon l’Institut de statistique de l’UNESCO (ISU), les femmes arabes ont bénéficié de plusieurs avancées significatives, surtout dans le secteur de l’éducation. Ainsi de 1974 à 2016, le taux d’alphabétisation des femmes est passé de 46% à 89% dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA). Si ce taux traduit la place importante accordée par ces pays à l’éducation de la femme, il soulève néanmoins le paradoxe l’opposant à un ordre social peu enclin à l’émancipation de la gent féminine.

Ainsi de 1974 à 2016, le taux d’alphabétisation des femmes est passé de 46% à 89% dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA).

D’un autre côté, même si elles n’ont été initiées qu’au début des années 2000, soit des années après les indépendances, plusieurs réformes légales ont voulu instituer une meilleure protection des droits des femmes dans les pays du monde arabe. En 2015, par exemple, l’Algérie a changé sa loi pour criminaliser les violences faites aux femmes. La constitution marocaine de 2011, quant à elle, garantit l’égalité entre les deux sexes.

Cependant, la « fragilité » de ces dispositions légales a longtemps été dénoncée par plusieurs associations. Par exemple, rappelant la lenteur dans l’adoption d’une loi sur les violences faites aux femmes au Maroc, Human Rights Watch (HRW) a souligné dans un rapport publié cette année que, même si théoriquement une fille doit avoir 18 ans pour se marier, « les juges autorisent régulièrement des filles à se marier avant cet âge ». En Algérie également, « une agression contre un conjoint ou un ancien conjoint peut être punie d'un maximum de 20 ans de prison et l'assaillant peut être passible d'une peine de prison à perpétuité si les agressions ont causé la mort de la victime », cependant le texte prévoit une impunité implicite avec la clause du « pardon ».

 

L’impact du cas tunisien

Si la nouvelle réforme tunisienne soulève autant de remous, c’est parce qu’elle remet en cause un système séculaire fortement implanté dans plusieurs pays du Maghreb et du Moyen-Orient. Et le fait que ce système successoral soit très lié à la religion islamique n’est pas pour arranger les choses.

La société tunisienne considérée comme avant-gardiste dans ce domaine, pourrait une nouvelle fois, faire se lever un vent frais, comme elle l’a déjà fait avec la révolution de Jasmin en 2011. Assisterons-nous à la naissance d’un « Printemps du droit des femmes arabes » ?

Moutiou Adjibi Nourou

 

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