Avec l’administration de Donald Trump, les USA salissent leur bonne réputation dans la lutte contre la corruption

(Ecofin Hebdo) - Historiquement, l’Amérique a toujours été le pays leader en matière de promotion de la transparence et de la lutte contre la corruption, particulièrement dans le domaine pétrolier et minier. Elle en revendique encore aujourd’hui le statut. Et pourtant, si avec le président Barack Obama ce leadership s’était renforcé, avec l’administration du nouvel homme fort de la Maison Blanche, Donald Trump, plusieurs décisions ont fortement entaché cette réputation.

Une importante actualité survenue aux Etats-Unis au début de l’été 2018, n’a pas suscité de nombreux commentaires en Afrique, ni dans les médias, ni dans les discours politiques. Et pourtant, la suppression de la section 1504 de la loi communément connue sous l’appellation de Dodd Frank est lourde de conséquences.

Cette situation survient en fin 2017, après le retrait des USA du processus de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE). Un mouvement auquel la première puissance mondiale, sous le leadership d’Obama, s’était engagée, donnant un gros coup de pouce au combat des ONG pour plus de transparence dans le secteur des ressources naturelles, surtout dans les pays en développement.

 

Une rude bataille, menée par le régulateur américain des marchés financiers américains

La loi Dodd Frank ne visait pas particulièrement la transparence dans le secteur des mines. Ses promoteurs au Congrès américain (Chris Dodd et Barney Frank), voulaient surtout en faire un instrument de renforcement de la surveillance des banques américaines par les pouvoirs publics, à la suite de l’onde de choc de la crise financière de 2008. C’est pratiquement dans les dernières périodes d’adoption de cette législation, que la Securities and Exchange Commission (SEC), le régulateur américain des marchés financiers, a introduit la section (1504) sur la transparence des paiements effectués par les sociétés minières cotées sur les marchés financiers américains.

Dodd Frank

2010 : signature de la réforme Dodd Frank 

La raison invoquée était que la divulgation des paiements effectués par les sociétés extractives à des gouvernements, empêcherait les dirigeants des pays pauvres, de détourner l'argent issue des ventes de pétrole et de minéraux. Une façon de voir en droite ligne avec l’adhésion des USA à l’ITIE, dont un des principes et de promouvoir plus de transparence de la part des acteurs privés et des gouvernements, dans la chaine des valeurs des ressources extractives.

L’administration Obama qui était très à cheval sur les questions de gouvernance, notamment dans ses relations avec l’Afrique, n’avait pas eu de peine à soutenir cette mesure. Mais ses membres ont trouvé en face, le puissant lobby pétrolier américain, notamment l’American Petroleum Institute (API), qui s’est promis de faire abolir cette règle.

Ses membres ont trouvé en face, le puissant lobby pétrolier américain, notamment l’American Petroleum Institute (API), qui s’est promis de faire abolir cette règle.

Dès la proposition de cet article, l’API a commencé à le critiquer dans la forme. Une voie qui n’a pas prospéré. Dans le fond, l’organisation, sous l’impulsion du géant mondial Exxon Mobil, a évoqué plusieurs arguments. Le premier était que la disposition créait de l’iniquité entre les investisseurs américains. Les sociétés non cotées, qui évoluent en marge de la bourse, n’étaient pas tenues de se conformer à cette règle.

 DonaldTrump

2017 : Donald Trump annule la réforme de Barack Obama.

De même, les membres de l’API estimaient que divulguer des donnés sur les paiements de droits de licence et autres accords, était une violation du droit au secret de la stratégie et les rendait moins compétitives face aux compagnies d’autres pays.

Des parlementaires républicains ont repris le slogan de campagne du président Donald Trump, indiquant que cette disposition portait atteinte à la capacité des sociétés pétrolières américaines à créer de l’emploi pour des Américains.

Plus récemment, des parlementaires républicains ont repris le slogan de campagne du président Donald Trump, indiquant que cette disposition portait atteinte à la capacité des sociétés pétrolières américaines à créer de l’emploi pour des Américains. Dans tous les cas, la disposition a aujourd’hui disparu de la loi.

 

Un vent de protestations, face à ce recul des USA

Partout dans le monde, on crie déjà au repli des Etats-Unis dans la lutte contre la corruption en matière de ressources extractives. Un des protestataires est Olusegun Elemo, le directeur de l’ONG nigériane Paradigm Leadership Support Initiative, une organisation qui œuvre pour la transparence dans le secteur pétro-gazier du Nigéria.

 OLUSEGUN

Selon Olusegun Elemo, Exxon Mobil compte pour 29% des paiements effectués par les entreprises pétrolières aux entités publiques de son pays.

Dans une note adressée fin mai 2018 à la commission des affaires financières du Sénat américain, il faisait remarquer, qu’Exxon Mobil compte pour 29% des paiements effectués par les entreprises pétrolières aux entités publiques de son pays. De son avis, permettre au groupe américain de ne pas rendre ses paiements publics, porte atteinte aux combats pour plus de redevabilité dans son pays.

Des organisations internationales, elles aussi, ont soulevé des critiques à cette évolution des USA. L’ONG Publish What You Pay qui suit de près cette question de transparence dans le secteur extractif, rappelle que plusieurs pays comme le Canada, la Norvège et même l’Union Européenne, ont adopté des lois de divulgation de paiements, sans que cela ne change rien à la compétitivité de leurs entreprises.

Publish What You Pay rappelle que plusieurs pays comme le Canada, la Norvège et même l’Union Européenne, ont adopté des lois de divulgation de paiements, sans que cela ne change rien à la compétitivité de leurs entreprises.

Parmi les compagnies qui pratiquent ces divulgations, on retrouve les groupes comme British Petroleum, Royal Dutch Shell ou Total, qui ont déjà versé plus de 150 milliards de dollars aux gouvernements de plus de 100 pays. Aucune des sociétés déclarantes n'a prétendu que l'entreprise avait été touchée négativement par de telles mesures. Mieux encore, l’exemple de l’entreprise Kosmos Energy, basée aux USA, et qui publie ses comptes, montre que les sociétés américaines n’auraient aucun mal à être transparentes. Enfin, on a aussi noté que même des groupes chinois et russes, jugés très secrets, se sont prêtés au jeu.

Enfin, on a aussi noté que même des groupes chinois et russes, jugés très secrets, se sont prêtés au jeu.

L’Amérique se retrouve désormais seule dans une démarche qui favorise la lutte contre les détournements et la mauvaise gouvernance dans le secteur des industries extractives, alors même que des cas de corruption par des entreprises américaines ne manquent pas. Plusieurs dossiers ayant abouti à des sanctions ou à des arrangements à l’amiable sont dans les tiroirs de la Securities and Exchange Commission (SEC).

 

Des cas de corruption impliquant des sociétés US

On peut citer le cas de l’entreprise de forage Layne Christensen. Cette dernière spécialisée dans le forage des sites d’extraction, a trouvé un arrangement à l’amiable en octobre 2014 avec la SEC, après avoir été convaincue de pratiques de corruption, d’un montant global de 1 million $ dans plusieurs pays africains, dont la RDC, la Guinée Conakry et le Mali, et aussi d’avoir réalisé de manière inappropriée, des économies d’impôts de près de 3,2 millions $.

 TRUMPAMERIQUE

L’Amérique se retrouve désormais seule.

En juillet 2017, un autre accord à l’amiable a été trouvé avec le groupe pétrolier américain Halliburton. Ce dernier était accusé d’avoir effectué des paiements à une entreprise qui devait mener des actions locales pour le compte de Sonangol. Près de 3,1 millions $ ont été payés dans ce cadre, et la SEC a découvert que certains de ces paiements était survenus en amont de l’obtention par le groupe, de lucratifs contrats pétroliers.

En fin mars 2018, la société américaine Kinross Gold Company a elle aussi trouvé un accord d’arrangement à l’amiable pour n’avoir pas mis en place des processus de contrôle interne de passation des marchés dans le cadre de ses activités au Ghana et en Mauritanie. Une situation qui, selon la SEC, présentait des risques de pratique de corruption.

Désormais, la loi Dodd Frank ne compte plus que des dispositions relatives aux minéraux de guerre, qui semblent mettre un gros focus sur la République Démocratique du Congo. Dans ce cas particulier, la lutte contre la corruption pourra continuer, dans le cadre de la loi qui sanctionne les entreprises américaines contre les pratiques de corruption à l’étranger.
Mais une application voire un renforcement de l’article 1504 aurait été une avancée, pour plusieurs ONG notamment africaines. De nombreux pays riches en ressources naturelles, continuent d’abriter des populations parmi les plus pauvres. Les contrats signés avec les multinationales sont secrets pour la plupart, et les revenus perçus par les gouvernements, lorsqu’ils ne sont pas communiqués dans le détail, sont autant de portes ouvertes à la corruption et à l’enrichissement illicite.

Idriss Linge

Idriss Linge

 

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