La mission impossible des systèmes sanitaires africains

(Ecofin Hebdo) - Ebola, choléra, paludisme, sida. Dans l’imaginaire mondial, le continent noir est tristement associé à ces maux, au point que l’on se demande pourquoi au XXIe siècle, des maladies déjà éradiquées (ou presque) dans les autres régions du monde, continuent à faire autant de morts en Afrique, chaque année. Si bien souvent, les modes et conditions de vies des Africains sont mis en cause pour expliquer ce phénomène, plus de cinq décennies après les indépendances, les statistiques et les faits s’accordent surtout à démontrer que les systèmes sanitaires mis en place dans la plupart des pays africains sont encore très loin de couvrir les besoins de leurs populations.

 

L’héritage de la période coloniale

L’organisation moderne des systèmes de santé sur le continent africain trouve essentiellement son origine dans les années 1920-1930, avec (dans les colonies françaises surtout) une organisation sanitaire fortement liée à l’armée. Après les indépendances, ce modèle sanitaire mal adapté aux besoin des populations locales, a été globalement reconduit par les Etats africains.

L’organisation moderne des systèmes de santé sur le continent africain trouve essentiellement son origine dans les années 1920-1930, avec (dans les colonies françaises surtout) une organisation sanitaire fortement liée à l’armée.

Si les offres de soins ont été de plus en plus tournées vers les populations urbaines, le manque de formation et de compétences a rendu plus difficile la réorganisation par les jeunes Etats, des anciens systèmes de santé coloniaux.

Toutefois, progressivement, les pays du continent adhèreront à plusieurs organismes et stratégies (Soins de Santé Primaires, Initiative de Bamako), qui leur permettront d’assurer au fil des ans, une meilleure couverture sanitaire, surtout en ce qui concerne les soins apportés aux femmes et aux enfants.

Ainsi, les programmes de lutte contre le sida, le paludisme, ou les campagnes de vaccination à grande échelle, financées par les organismes internationaux comme l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), ont conduit à une amélioration de l’espérance de vie globale sur le continent (37,5 ans en moyenne pour les personnes nées entre 1950 et 1955 contre 60,2 ans pour celles nées en 2010-2015).

Pourtant malgré ces avancées, les données actuelles concernant la santé en Afrique montrent qu’il existe encore un énorme déficit entre les objectifs que les gouvernements africains se fixent, et les réalités du terrain. Les pays africains occupent en majorité le bas du classement mondial en matière de santé.

 

Des indicateurs de santé très bas

Selon l’OMS, l’Afrique est la région la moins hospitalière du monde, avec un indice de couverture sanitaire universelle (CSU) de 46 contre une moyenne mondiale de 64. Alors que la situation nord-africaine s’améliore (avec un indice CSU de 64), l’Afrique subsaharienne affiche des chiffres peu reluisants (indice CSU 42), soulignant des différences importantes entre les systèmes de santé du continent.

Alors que la situation nord-africaine s’améliore (avec un indice CSU de 64), l’Afrique subsaharienne affiche des chiffres peu reluisants (indice CSU 42), augmentant ainsi les différences extrêmes entre les systèmes de santé du continent.

Selon un rapport publié conjointement par l’OMS, la Banque Mondiale et l’OCDE, la disponibilité des établissements sanitaires, ainsi que leur équipement, varient considérablement d’un pays africain à l’autre.

 stethoscope

Le stéthoscope est disponible dans seulement un peu plus de la moitié des établissements en Éthiopie

 

En 2017, les données de l’OMS relatives à la densité des lits d’hôpitaux/habitants traduisaient également ces différences extrêmes. Alors que le Mali et Madagascar affichent respectivement des taux très bas de 1 et 2 lits pour 10 000 habitants, des pays comme l’Afrique du Sud, Maurice et les Seychelles affichent des densités de 28, 34 et 36 lits pour 10 000 habitants.

Alors que le Mali et Madagascar affichent respectivement des taux très bas de 1 et 2 lits pour 10 000 habitants, des pays comme l’Afrique du Sud, Maurice et les Seychelles affichent des densités de 28, 34 et 36 lits pour 10 000 habitants.

Et si la densité des hôpitaux et des cliniques est aujourd’hui très différente d’un pays à l’autre, elle l’est également à l’intérieur d’un même pays. Les services de santé de base sont parfois localisés à plusieurs heures de route des communautés rurales, plus pauvres, rendant impossible un accès rapide aux soins.

Ce contraste est également remarquable concernant la disponibilité des outils et appareils médicaux de pointe mais également les instruments de soins les plus basiques. « En Afrique subsaharienne, l'équipement de base tel qu'un thermomètre et un stéthoscope est disponible dans seulement un peu plus de la moitié des établissements en Éthiopie, alors qu’au Burkina Faso, on le trouve dans presque tous les établissements. » indiquait à cet effet l’OMS.

Dans une enquête réalisée en 2014, l’institution indiquait que moins d’un quart des établissements de santé du Nigéria, pays le plus peuplé d’Afrique, disposait d’eau courante, d’assainissement et d’électricité fiables.

Dans une enquête réalisée en 2014, l’institution indiquait que moins d’un quart des établissements de santé du Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, disposait d’eau courante, d’assainissement et d’électricité fiables.

Ces situations qui traduisent une inefficacité des politiques publiques mises en place par les gouvernements africains depuis les indépendances, affectent malheureusement la qualité des soins disponibles, surtout en Afrique subsaharienne.

 

Une densité médecin/habitants faible

Hormis les infrastructures, l’un des maux affectant la qualité et la disponibilité, des soins sur le continent africain, est celui relatif au quota médecin/habitants, qui reste très faible sur l’ensemble du continent.

D’après les données de l’OMS, la densité de médecin par habitant du continent africain est de 12,8 médecins compétents pour 10 000 habitants, très en dessous de la moyenne mondiale qui est de 52,8 médecins compétents pour 10 000 habitants.

D’après les données de l’OMS, la densité de médecin par habitant du continent africain est de 12,8 médecins compétents pour 10 000 habitants, très en dessous de la moyenne mondiale qui est de 52,8 médecins compétents pour 10 000 habitants.

A l’analyse des chiffres qu’affiche chaque pays du continent concernant ce quota on note encore une fois un contraste énorme, d’un pays à l’autre.

Ainsi, pendant que la densité médecin compétent/habitants est insignifiante dans des pays comme le Burundi, le Soudan du Sud ou l’Erythrée, elle se situe au niveau de la moyenne continentale au Kenya, au Nigeria ou au Cap-Vert. Alors qu’à Maurice, aux Seychelles et en Afrique du Sud elle se situe entre 40 et 60 médecins compétents pour 10 000 habitants.

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Pour expliquer cette pénurie de ressources humaines de qualité dans le secteur sanitaire, les experts accusent l’inefficacité des systèmes de formations des médecins et autres agents de santé. De plus, on observe une fuite des médecins africains compétents vers les perspectives professionnelles plus avantageuses (sur le plan économique notamment), que leur offrent les pays développés, notamment européens et américains.

Selon une étude publiée en 2011, l’exode des médecins de l’Éthiopie, du Kenya, du Malawi, du Nigeria, de l’Afrique du Sud, de l’Ouganda, de la Tanzanie, de la Zambie et du Zimbabwe coûterait annuellement plus de 2 milliards $ à ces pays.

Et hormis le fait qu’elle affaiblit considérablement la densité médecin/habitant des pays africains, cette émigration, motivée généralement par le manque d’attractivité du secteur sanitaire africain, représente un coût pour les économies du continent.

 fuite cerveaux

L’exode des médecins coûte très cher à l’Afrique.

 

Selon une étude publiée en 2011, l’exode des médecins de l’Éthiopie, du Kenya, du Malawi, du Nigeria, de l’Afrique du Sud, de l’Ouganda, de la Tanzanie, de la Zambie et du Zimbabwe coûterait annuellement plus de 2 milliards $ à ces pays. Un chiffre d’autant plus alarmant que deux des poids lourds de la croissance démographique africaine (Nigeria, Ethiopie) font partie de la liste.

 

Le facteur démographique : un handicap ?

Si la plupart des experts affirment que la croissance démographique du continent peut lui servir de levier pour booster sa croissance économique, on oublie un peu trop souvent que cela ne pourra être le cas que si cette population est bien soignée. Et pour l’instant les chiffres sont loin d’être rassurants.

A titre d’exemple, l’île Maurice est le pays d’Afrique subsaharienne qui consacre le plus de dépenses dans le secteur de la santé (506 $ par habitant). De l’autre côté, la République centrafricaine est le pays qui dépense le moins (17$ par habitant). Pour référencent, le classement est dominé par la Suisse (avec 9818$ par habitant).

L’île Maurice est le pays d’Afrique subsaharienne qui consacre le plus de dépenses dans le secteur de la santé (506 $ par habitant). De l’autre côté, la République centrafricaine est le pays qui dépense le moins (17 $ par habitant). 

Cette situation, qui oblige les populations à assumer financièrement la majeure partie de leurs soins (dont le coût reste globalement élevé par rapport à leur pouvoir d’achat) entraîne un appauvrissement des couches les plus défavorisées. Avec l’Asie, l’Afrique comptait pour 97% de la population mondiale appauvrie par les dépenses de santé directes, selon un rapport de 2017.

Cela explique la forte tendance des couches vulnérables, à se tourner vers le secteur des « faux médicaments », moins chers, mais plus dangereux pour la santé. Dans un contexte où l’Afrique ne compte que pour 3% de la production mondiale de médicaments, les marchés, même formels, sont de plus en plus envahis par les médicaments de faible qualité, voire nocifs. Cette situation est favorisée par la faiblesse du contrôle exercé par les Etats sur l’industrie et la distribution pharmaceutique.

L’analyse des données montre que, sur le continent africain, les pays qui consacrent plus de 100 $ par habitants en dépenses de santé publique, sont peu nombreux. Et cette tendance n’est pour l’instant pas favorable à l’émergence du « dividende démographique » qu’espèrent les pays africains, alors que la population du continent est prévue pour doubler d’ici à 2050.

 

Public ou privé ?

Pour l’instant, la principale réponse qui est apportée en Afrique à ce déficit des systemes de santé, se trouve dans le développement d’infrastructures privées qui ne sont abordables que pour la minorité la plus aisée de la population. Une minorité qui, certes, s’élargit constamment avec l’émergence de la classe moyenne, mais qui laisse l’immense majorité des Africains démunis face à la maladie.

Quelques pays expérimentent les partenariats publics-privés, sous forme d’une délégation de pouvoir à des entités privées, chargées de mettre en place les outils et mécanismes d’une gestion orthodoxe, participative et inclusive de centre hospitaliers. Les infrastructures, équipements et ressources humaines restent la propriété et la responsabilité de l’Etat. La solution semble porteuse. Il faudra toutefois en observer les effets sur une plus longue période pour juger de son efficacité.

Moutiou Adjibi Nourou

 

 

 

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