Rwanda : derrière l’éblouissant miracle, quelques zones d’ombre

(Ecofin Hebdo) - Du Rwanda, on parle presque toujours de son miracle et de l’exemple qu’il inspire pour d’autres pays africains subsahariens, hors Afrique du Sud. Une performance économique exceptionnelle, une capitale, Kigali, qui brille par sa propreté, un président, Paul Kagamé, qui semble se réajuster en permanence et apprendre des manquements du passé... Toutefois, rien n’est parfait et ce succès tous azimuts cache aussi des zones d’ombres.

Fin mars 2018, le Rwanda, une fois de plus, n’a pas démenti sa réputation de pays africain exemplaire sur le plan des indicateurs macro-économiques. La croissance de son Produit Intérieur Brut s’est située à +10,6%. 

Au cours des 18 dernières années, période depuis laquelle il dirige son pays, le Rwanda a connu une croissance moyenne de 8%, avec des pic à 14% sur certaines périodes.

Le pays de 12 millions d’habitants, sans ouverture sur l’océan, et qui partage une bonne partie de ses frontières avec des voisins difficiles comme la République Démocratique du Congo, le Burundi et, dans une moindre mesure l’Ouganda, a débuté l’année en déjouant le consensus des pronostics sur ses perspectives macroéconomiques à court terme. Cette performance du premier trimestre est la seule à deux chiffres, enregistrée dans l’ensemble des pays africains sur la période.

 

Un leadership bâti autour d’un homme

Après le génocide qui a bouleversé le monde entier, avec près d’un million de victimes, le président Kagame a dû reconstruire sur des ruines. Au cours des 18 dernières années, période depuis laquelle il dirige son pays, le Rwanda a connu une croissance moyenne de 8%, avec des pic à 14% sur certaines périodes. Selon la dernière enquête officielle sur les conditions des ménages (publiée en 2016), le taux de pauvreté est passé de 59% en 2000, à pratiquement 39% en 2014. Quant à l’extrême pauvreté, elle est passé, selon la définition officielle, de 40% à 16% sur la même période.

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Evolution de la pauvreté et l’extrême pauvreté au Rwanda
Source : 4ème enquête sur les conditions de ménages 2013/2014.

Parmi les autres éléments tangibles de la succès story, on relève selon des indicateurs de la Banque Mondiale, une amélioration du niveau d’instruction de la population, de l’espérance de vie, du niveau d’inscription dans les écoles primaires et de l’optimisation dans les dépenses de santé.

Une amélioration du niveau d’instruction de la population, de l’espérance de vie, du niveau d’inscription dans les écoles primaires et de l’optimisation dans les dépenses de santé.

Un point fort de la réussite rwandaise réside dans la prise en compte du genre. Ainsi, le pays, à la fin 2017, comptait 61,25% de femmes parlementaires, contre une moyenne mondiale de 22,5%.

Et les performances semblent se poursuivre. En 2017, la balance commerciale des biens s'est nettement améliorée, grâce à une forte croissance de 44,5% des exportations et une baisse de 5,6% des importations. De bons résultats aidés par la hausse des prix internationaux des ressources minières comme l’or, et la bonne tenue de la demande mondiale en café et en thé. 

Des signes positifs sont aussi notables dans la diversification des revenus d’exportation, notamment avec le secteur touristique qui pour la première fois en 2016 est devenu la première source de devise (avec des revenus estimés à 392 millions $).

Le gouvernement continue de mener des réformes orientées vers le renforcement de la compétitivité, tant au niveau local qu’au niveau international. Le Country Policies and Institutionnal Assessment, une analyse de la Banque Mondiale qui classe les pays en fonction des améliorations structurelles opérées, positionne le Rwanda aux premiers rangs en Afrique, tout autant que le rapport Doing Business

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Sources : estimations FMI et compilations Agence Ecofin

On en vient alors à oublier que Paul Kagame, aujourd’hui âgé de 60 ans, est au pouvoir depuis 18 ans et comme cela a été le cas dans plusieurs pays africains, a obtenu un changement de Constitution qui lui permet de rester au pouvoir encore très longtemps. Pourtant, même s’il est célébré au niveau des instances internationales pour son œuvre exceptionnelle de reconstruction, l’analyse froide invite à jeter un regard sur ce qui pourrait constituer les faiblesses de ce miracle africain.

 

Derrière le miracle, des faiblesses à prendre en compte

Le premier handicap réside dans la taille du marché intérieur. Ce havre de bonne gouvernance et de stabilité socio-politique n’est composé que de 12 millions d’habitant au pouvoir d’achat plutôt faible. Bien qu’il soit en hausse permanente, le PIB par habitant du Rwanda reste très modeste comparé à celui d’autre pays africains.

Même si le gouvernement poursuit avec sa stratégie de réduction des importations, il devra malgré tout faire face jusqu’en 2023 à la hausse de l’impact négatif du déficit commercial sur le PIB, qui au final plombe le revenu net disponible.

Selon les perspectives économiques du Fonds Monétaire International, réajustées au mois d’avril 2018, les projections de PIB/habitant du Rwanda pour l’année 2018 se situaient à 819,7 $, classant le pays au 31ème rang sur les 49 pays dont les données sont disponibles en Afrique.

Même si le gouvernement poursuit avec sa stratégie de réduction des importations, il devra malgré tout faire face jusqu’en 2023 à la hausse de l’impact négatif du déficit commercial sur le PIB, qui au final plombe le revenu net disponible, c’est-à-dire la part dans le flux de PIB qui n’est pas transférée à l’extérieur.

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Un petit marché enclavé de 12 millions d’habitants.

Une autre faiblesse du pays réside dans le niveau de qualification de ses ressources humaines. Selon une enquête menée par le conseil du développement du Rwanda auprès des investisseurs et publié le 14 août dernier, 34% de réponses ont pointé du doigt la faible qualité des ressources humaines comme un des points négatifs dans la décision d’investir au Rwanda. Cette limite est particulièrement perçue par les investisseurs du segment de la manufacture. Ils disent ne pas trouver la main d’œuvre appropriée et suffisamment disciplinée pour parvenir à une certaine compétitivité extérieure.

34% de réponses ont pointé du doigt la faible qualité des ressources humaines comme un des points négatifs dans la décision d’investir au Rwanda.

La position géographique du Rwanda constitue elle aussi un défi. Cela impose d’être soumis à la facilitation des corridors, qui passent par des pays, où ne s’applique pas la même rigueur en terme de gouvernance. Dans ce contexte, les coûts de facteurs sont élevés et la rentabilité déjà faible pour les investisseurs, doit se heurter à la concurrence de produits venus des pays voisins avec un accès à la mer, et les difficultés dans le rapatriement des bénéfices.

On relève aussi une certaine inadéquation entre la volonté du pays de devenir un hub technologique, et la difficulté qu’il y a à trouver des financements pour ce secteur. Les banques se montrent assez conservatrices pour des projets relevant de ces domaines, et les garanties sollicitées sont difficiles à fournir pour les promoteurs qui, généralement, n’ont de richesse que leurs idées. En plus, le gouvernement a proposé d’augmenter de 0 à 25% la taxe sur les équipements électroniques. Une initiative jugée malheureuse par les acteurs du secteur qui estiment que les initiatives développées dans le pays concernent davantage la production de logiciels. Ainsi, augmenter le coût des équipements pourrait plomber la chaîne de valeurs de production de solutions informatiques qui n’en est qu’à sa phase de gestation.

Un autre domaine de faible capacités est celui du tourisme. Si le pays s’est ouvert sans limites à l’ensemble des pays africains, pour de nombreux touristes non-africains, il faut encore obtenir des visas pour entrer dans le pays. Généralement les visiteurs sont de passage pour très peu de temps et pour des raisons professionnelles, et effectuent peu de dépenses.

Généralement les visiteurs sont de passage pour très peu de temps et pour des raisons professionnelles, et effectuent peu de dépenses.

Et les ressortissants africains qui y ont un libre accès n’y vont pas en masse, en raison des prix élevés des billets d’avion. De ce point de vue, on a pu relever, que l’alternative du tourisme comme source de revenus en devise devrait à terme être mieux élaborée.

Enfin, il subsiste un doute quant à la capacité du miracle de perdurer au-delà de son auteur. La méthode Kagame comporte la faiblesse de faire dépendre le succès économique d’un pays de l’autorité d’un seul homme et d'une discipline partisane qui pourrait voler en éclat, si un autre mouvement politique en venait à prendre le pouvoir d’une manière ou d’une autre. 

La méthode Kagame comporte la faiblesse de faire dépendre le succès économique d’un pays de l’autorité d’un seul homme et d'une discipline partisane.

Dans une récente lettre adressée au FMI, le gouvernement soulevait un ensemble de points qui, de son avis, requiert un certain nombre d’améliorations. Il s’agit notamment de parvenir à limiter le poids de l’aide publique internationale dans le financement du pays, d’améliorer la mobilisation des ressources fiscales, ou encore d’assurer la solidité du système financier.

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Un parlement majoritairement féminin.

Le Rwanda possède donc d’importants atouts et acquis. Mais sa transformation en Eldorado, demandera encore du temps et une certaine dose de patience pour développer les investissements de long terme.

Idriss Linge

 Idriss Linge

 

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