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La surpêche étrangère relance la piraterie au large de la Somalie (rapport)

La surpêche étrangère relance la piraterie au large de la Somalie (rapport)
  • Date de création: 28 juin 2024 08:29

(Agence Ecofin) - Le rapport souligne que les actes de piraterie ont repris de plus belle au large des côtes somaliennes ces derniers mois, avec plus de 30 attaques contre des navires, recensées depuis novembre 2023.

La surpêche pratiquée par des chalutiers étrangers représente l’un des plus importants facteurs favorisant la réapparition de la piraterie au large de côtes somaliennes ces derniers mois après une décennie d'accalmie, selon un rapport publié 7 juin 2024 par l’ONG International Crisis Group.

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Intitulé « The Roots of Somalia’s Slow Piracy Resurgence », le rapport rappelle que la ville côtière d’Eyl située dans l’Etat du Puntland (Nord-est de la Somalie) s’est transformée en un épicentre de la piraterie maritime mondiale au milieu des années 2000, après que des membres des communautés locales de pêcheurs se sont tournés vers la flibuste à cause de la prédation des chalutiers étrangers qui ruinaient leurs moyens de subsistance en épuisant les stocks de poissons.

Ces premiers pirates du XXIe siècle connus sous l’appellation locale de « burcad badeed » (bandits des mers) » ont mené pas moins de 200 attaques par an contre des navires commerciaux entre 2009 et 2011.

A l’époque, les compagnies maritimes ont été contraintes d'engager des gardes armés et d'emprunter des itinéraires plus longs pour éviter de passer près les eaux de la Corne de l’Afrique. Les factures de carburant se sont ainsi envolées, tout comme les primes d'assurance et les coûts de main-d'œuvre. Selon les estimations de la Banque mondiale, la piraterie a coûté 18 milliards de dollars à l'économie mondiale en 2010.

Pour réduire ces pertes, les États-Unis, l'Union européenne et l’Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) ont déployé des navires pour patrouiller au large des côtes somaliennes dans le cadre d'une réponse internationale coordonnée, alors que les administrations somaliennes locales se sont également mobilisées pour éradiquer le fléau.

Au fil des années, ces mesures ont semblé porter leurs fruits, les incidents au large des côtes somaliennes étaient tombés à zéro en 2020.

Des centaines de licences de pêche accordées à des chalutiers étrangers

Les actes de piraterie ont cependant repris de plus belle dans la région ces derniers mois. Les pirates somaliens ont attaqué plus de 30 navires depuis novembre 2023. La plus grande attaque a eu lieu le 12 mars dernier contre MV Abdullah, un vraquier battant pavillon du Bangladesh qui transportait une cargaison de charbon du Mozambique vers les Emirats arabes unis. Les pirates somaliens n’ont libéré ce navire et son équipage qu’à la mi-avril après le paiement d’une rançon 5 millions de dollars.

Le rapport indique que cette recrudescence des attaques menées par les flibustiers s’explique en grande partie par l’intensification de la surpêche pratiquée par les chalutiers étrangers qui vident les stocks de poissons et abîment les filets des pêcheurs somaliens, au mépris des règles internationales. Privés de leurs moyens de subsistance, des pêcheurs se tournent vers la piraterie en brandissant l’argument de type « Robin des Bois », selon lequel ils combattent la pêche illégale et protègent leurs communautés.

Si de nombreux gros navires raclent les fonds marins sans autorisation, d'autres disposent de licences de pêche valides délivrées par le gouvernement régional du Puntland ou le gouvernement fédéral somalien.

Citant un ministre du gouvernement du Puntland, le rapport révèle que plusieurs centaines de licences de pêche ont été déjà délivrées à des chalutiers étrangers par cet Etat semi-autonome, en plus de celles accordées par le gouvernement fédéral.

Même avec des licences, la réglementation interdit aux navires étrangers de pratiquer le chalutage de fond à moins de 24 milles nautiques de la côte, afin de réserver cette zone aux communautés locales de petits pécheurs. Dans la pratique, la plupart des navires étrangers qui proviennent notamment de pays tels que l'Iran, l'Inde, le Pakistan ou encore la Thaïlande ne respectent pas ces restrictions en l’absence de toute surveillance de la part des autorités.

Le spectre d’une résurgence à grande échelle de la piraterie plane 

D’après les Nations unies, la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN) au large des côtes somaliennes fait perdre au pays jusqu'à 300 millions de dollars par an.

Dans le même temps, les dispositifs sécuritaires qui faisaient barrage à la piraterie se sont affaiblis. Avec la diminution progressive du nombre de forces navales internationales patrouillant au large des côtes somaliennes ces dernières années à mesure que les actes de piraterie régressaient, les forces internationales restantes se sont orientées vers la dissuasion des rebelles houthis du Yémen qui mènent des attaques en mer rouge contre des navires liés à Israël, en représailles à sa guerre menée contre le Hamas à Gaza.

Des élections tendues au Puntland en décembre et janvier dernies ont par ailleurs détourné l’attention des forces de sécurité locales des côtes vers l’intérieur des terres.

Jusqu’ici, les pirates n’ont pas encore n'ont pas établi de base dans la baie naturelle de la ville d’Eyl. Mais le risque d’une résurgence à grande échelle de la piraterie s’accroît à mesure que la frustration des communautés de pêcheurs augmente face à l’ampleur de la surpêche industrielle, dans un contexte marqué par une insouciance totale de la part des autorités. Les pirates risquent de s'attirer davantage de sympathie, et potentiellement plus de soutien logistique et de recrues dans les communautés de pêcheurs artisanaux lésés par la prédation de chalutiers étrangers à Eyl comme dans d’autres villes côtières somaliennes.

L’International Crisis Group, qui se présente comme une organisation à but non lucratif dont la mission est de prévenir et d'aider à résoudre les conflits meurtriers grâce à un travail de recherche sur le terrain, des analyses et des recommandations indépendantes, estime que le gouvernement fédéral somalien et ses Etats membres doivent lutter plus efficacement contre la pêche illégale avec le soutien de leurs partenaires internationaux en surveillant les eaux territoriales du pays, et limiter le nombre de licences délivrées aux chalutiers étrangers pour étouffer dans l’œuf la résurgence inopportune de la piraterie.