Le cercle vicieux de la crise énergétique nigériane

(Ecofin Hebdo) - Depuis plusieurs années, le Nigeria se débat avec une crise prolongée et multiforme de son secteur énergétique. En effet, le pays le plus peuplé du continent est significativement ralenti par son incapacité chronique et entretenue à satisfaire ses besoins énergétiques. La faute à des problèmes structurels que tente de résoudre une suite de solutions à l’efficacité mitigée.

Un parc de production électrique insuffisant et vieillissant

En 2016, le Nigeria disposait d’une capacité installée de 10 396 MW répartie en 23 centrales électriques, pour un taux d’électrification de 45%. Les centrales thermiques alimentées au gaz constituent 81% de ce parc que complètent les centrales hydroélectriques. Cependant, ces installations ont un taux de validité de 67% puisque seulement 7000 MW sont en mesure de produire de l’électricité. Cela est dû en grande partie au fait que plus de la moitié des centrales constituant le parc énergétique nigérian a plus de 20 ans et que les maintenances se font, le cas échéant de manière assez sporadique.

Selon la Banque mondiale, 41% des entreprises installées dans le pays produisent l’énergie qu’elles consomment. Une situation de pénurie électrique qui a couté 1,6 milliard $ à l’économie nationale en 2016.

Selon les chiffres officiels environ 20% des capacités installées du pays ont une production également à 10% de leur capacité installée. Pour comparaison l’Afrique du Sud a une capacité installée de plus de 47 000 MW pour une population de 55 millions d’habitants contre 170 millions pour le Nigeria. Selon la Banque mondiale, 41% des entreprises installées dans le pays produisent l’énergie qu’elles consomment. Une situation de pénurie électrique qui a couté 1,6 milliard $ à l’économie nationale en 2016.

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Le Nigeria enregistre à peine 144 kWh de consommation électrique par habitant.

Le Nigeria enregistre à peine 144 kWh de consommation électrique par habitant contre 355 kWh pour le Ghana, 4229 kWh pour l’Afrique du Sud, 10 000 kWh pour les pays industrialisés, et 3126 kWh en moyenne mondiale.

Un réseau électrique exigu qui réduit davantage la production électrique disponible

A cette puissance électrique réduite, s’ajoute un réseau de transmission électrique insuffisant. En effet, les infrastructures installées peuvent transporter environ 5 000 MW. Ce qui fait que 28% de la production électrique du pays est perdue à cause de l’inadéquation du réseau de transmission. Une perte non technique à laquelle s’ajoutent les pertes techniques et commerciales. En outre, moins de 40% du pays est connecté à ce réseau électrique.

28% de la production électrique du pays est perdue à cause de l’inadéquation du réseau de transmission.

Cet état de chose est dû à la faiblesse du financement consacré au sous-secteur de la transmission électrique pendant plusieurs années.

Une privatisation qui a tourné court à cause de nombreux problèmes structurels

En 2010, pour améliorer l’efficacité du secteur électrique, le gouvernement a choisi de confier la gestion des entités publiques au secteur privé. Après maintes tractations, cette privatisation a finalement eu lieu à la fin de l’année 2013 au cours de laquelle la Power Holding Company of Nigeria (PHCN) a été démantelée en 11 compagnies de distribution électrique (DisCos), 6 entreprises de production électrique (GenCos) et une compagnie de transmission, la TCN.
Malheureusement, l’objectif poursuivi à travers cette privatisation n’a pas été atteint puisque de manière globale, les entités, même gérées par le privé, se sont retrouvées confrontées aux mêmes et nombreuses difficultés structurelles. « Nous souffrons au Nigeria. Depuis l’époque de la NEPA (National Electric Power Authority) jusqu’aux DisCos en passant par la PHCN, nous n’avons jamais pu jouir d’une fourniture continue de l’électricité. Nous avons même l’impression que la situation est pire que lorsque le gouvernement gérait le secteur.» s’est récemment plaint un client de la localité d’Apapa rapporte Vanguard.

Manque de combustible entrainant une production réduite

Bien que le Nigeria concentre 20% de la production gazière du contient et dispose de la 13ème plus grande réserve au monde, l’approvisionnement en gaz des centrales est l’un des talons d’Achille du réseau électrique nigérian. En effet, bien que le pays soit capable de produire plus de 6000 MW, sa production stagne depuis plusieurs mois à une moyenne de 4000 MW avec des pics pouvant aller certains jours jusqu’à 5 000 MW. Cet état de chose est principalement dû à une restriction de la fourniture du gaz utilisé comme combustible par près de 80% des centrales opérationnelles.

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L’approvisionnement en gaz des centrales est l’un des talons d’Achille du réseau électrique nigérian.

Si en 2016 et 2017, les sabotages des installations gazières par des groupes dissidents a été le principal argument avancé pour justifier l’approvisionnement insuffisant en gaz, ce dernier s’est considérablement réduit laissant apparaitre d’autres causes : ce sont principalement l’utilisation de la technique de torchage du gaz qui conduit au gaspillage de 8% de la production, ainsi que la faiblesse de la part de la production réservé au secteur électrique national (seulement 7%). Une proportion minime comparée aux 44% de production exportée et au 36% cédée aux usines et justifiée par le bas prix auquel les GenCos achètent l’énergie auprès de leurs fournisseurs (environ 1/5 du prix du marché international). En outre, les difficultés financières traversées par les entités font qu’elles accusent la plupart du temps du retard dans le paiement des combustibles utilisés.

Manque de liquidité

Un autre problème auquel sont confrontées les entreprises énergétiques nigérianes, aussi bien les distributeurs que les producteurs, est celui du financement. En effet, lors de la privatisation des entités, les financements libérés par les investisseurs privés n’ont pas été réinjectés dans le secteur électrique comme s’y attendait l’opinion publique. Ils ont été versés directement au gouvernement, rendant les entités nouvellement privatisées tributaires de leurs résultats d’exploitation.

En effet, il y a encore une proportion non négligeable de consommateurs nigérians d’électricité qui n’ont pas de compteurs électriques, ce qui rend impossible l’estimation et la facturation de leurs consommations.

Hélas, le taux de recouvrement des factures électriques dans le pays est assez bas... En effet, il y a encore une proportion non négligeable de consommateurs nigérians d’électricité qui n’ont pas de compteurs électriques, ce qui rend impossible l’estimation et la facturation de leurs consommations. Cet état de chose conduit également à une surfacturation des clients disposant de compteurs qui rend difficile l’acquittement par ces derniers de leurs factures électriques. Les pertes techniques et commerciales ont été estimées à 40% au titre de l’année 2016.

 

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Les pertes techniques et commerciales ont été estimées à 40% au titre de l’année 2016.

 

En 2017 par exemple, les compagnies de distribution ont affirmé que les organismes publiques leur devaient 90 milliards de nairas de factures impayées (environ 250 millions $), ce à quoi le gouvernement a répondu devoir seulement 27 milliards de nairas.

A cela s’ajoute le tarif électrique qui ne reflète pas le coût de production de l’électricité. Les DisCos estiment en effet qu’il faudrait que ce dernier soit de 65 nairas le kilowattheure au lieu des 35 nairas actuellement pratiqués pour pouvoir couvrir leurs différentes charges.

Le gouvernement a subordonné l’augmentation du tarif électrique demandé par les entreprises de distribution à la mise à la disposition des clients de compteurs prépayés ainsi qu’à la collecte d’informations sur le secteur afin de lui permettre de disposer des informations nécessaires à la fixation d’un tarif juste pour tous. Même si le processus est déjà en route avec la distribution de millions de compteurs, il ne prendra pas fin avant plusieurs mois, voire plusieurs années.

Ce manque à gagner engrangé par les entreprises de distribution les empêche non seulement d’investir dans l’extension du réseau, mais aussi de verser régulièrement aux entreprises de production le montant qui leur est dû pour la cession de l’énergie générée. Ces derniers par ricochet ne peuvent ni payer leurs fournisseurs de gaz, ni injecter de l’argent dans la maintenance de leurs installations et l’extension de leur capacité. Ce qui créé un cercle vicieux qui ne favorise pas le développement de l’ensemble du secteur.

Ce manque de liquidité et d’investissement de la part des entreprises énergétique compromet également leur recours aux levées de fonds pour financer leur opérations ce qui complique encore davantage la situation.

Une extension prévue du parc de production et du réseau de transmission électrique

Pour faire face à ces nombreux défis, le gouvernement nigérian met en place de nombreuses solutions, sur court et moyen terme, afin de répondre aussi bien aux problèmes conjoncturels que structurels.

Ainsi, en ce qui concerne le surplus de 2000 MW de production électrique actuellement inexploités dans le pays, le ministre de l’énergie, Babatunde Fashola a annoncé la construction de lignes électriques de 33 kVA et 11 kVA de capacité, afin d’acheminer ce surplus. Un projet qui devra être tenu puisqu’en plus de cet excèdent déjà engrangé en 2017, il est prévu que 1600 MW supplémentaires de centrales électriques soient mis en service en 2018.

Le gouvernement a également introduit au cours de la même année, une proposition de loi qui permettra à certains clients électriques disposant des ressources nécessaire, de s’approvisionner directement auprès des compagnies de production électriques, s’émancipant ainsi des DisCos. Ces derniers ont d’ailleurs exprimé leur inquiétude face à cette mesure qui risque de les priver de leurs plus gros clients.
Sur un horizon plus étendu, le pays a donc l’intention de faire passer sa capacité de transmission à 28 000 MW d’ici à 2035, soit une multiplication par 5,6 de la capacité actuelle. Cet objectif s’attendra en plusieurs étapes. Ainsi le secteur électrique pourra transmettre 10 000 MW d’ici à 2020, 15 000 MW dès 2025, 23 000 MW en 2030 en 28 000 MW en 2035. Ce plan qui a été élaboré par la compagnie nationale de transmission électrique, implique également la formation des cadres ainsi que la réhabilitation des sous-stations de transmission électrique déjà existantes.

En ce qui concerne la production électrique, le pays dispose d’un portefeuille de centrales en développement de près de 25 000 MW réparties en une cinquantaine d’infrastructures.

Le pays envisage également de satisfaire une partie de ses demandes électriques grâce aux installations électriques hors réseau. Ce sont 3000 MW de capacité qui sont prévus pour être mis en place d’ici 2020 grâce à cette technologie.

Ces unités de production électriques sont à des phases de développement allant de la délivrance de la licence à la construction des infrastructures. Elles prennent en compte aussi bien des centrales d’énergies renouvelables que des centrales fonctionnant avec des combustibles fossiles.

Le pays envisage également de satisfaire une partie de ses demandes électriques grâce aux installations électriques hors réseau. Ce sont 3000 MW de capacité qui sont prévus pour être mis en place d’ici 2020 grâce à cette technologie.

Un accompagnement plus important des DisCos et des GenCos

La résolution des problèmes structurels demande une injection massive de capitaux, ce qui a conduit le gouvernement à mettre en place un plan de réforme des DisCOs et des GenCos. Selon ce plan, il faudra lever des fonds pour régler les problèmes. Cependant, avant cette levée de fonds, il s’agit de réaliser un audit de la gestion des différentes structures énergétiques.

Concrètement, le président Mahammadu Buhari a décidé de revoir le processus de privatisation en permettant à d’autres investisseurs disposant de capacité financières et techniques, de faire leur entrée dans le secteur. « Le processus est en cours pour négocier avec les actionnaires et restructurer les investissements afin de déterminer la portion de l’actionnariat qui sera dégagée pour un nouveau tour de table.» a affirmé le responsable.

L’exécutif entend également mettre en place un monintoring du processus de privatisation du secteur afin de s’assurer que les acteurs respectent les engagements pris. Le processus a été entamé en 2017 pour la sélection des entreprises devant superviser ce processus de monitoring.

 

Dossier réalisé par Gwladys Johnson Akinocho

 Gwladys Johnson

 

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