Le SGR kenyan : le chemin de fer de la discorde

(Ecofin Hebdo) - Considéré comme l’un des pays africains les plus économiquement avancés, le Kenya doit son embellie de ces dernières années, en partie à ses investissements massifs dans les infrastructures. Si la plupart de ces projets ont souvent été bien accueillis, le dernier en date, portant sur le chemin de fer à écartement standard, financé par la Chine, est l’objet de plusieurs controverses. A tel point qu’aujourd’hui, le projet prévu pour être l’un des plus importants de la région est-africaine, semble progressivement battre de l’aile…

 

Le projet ferroviaire le plus cher de l’histoire du Kenya indépendant

En 2014, le gouvernement kenyan annonce la finalisation d’un contrat de 3,6 milliards $ avec la China Road and Bridge Company (CRBC). L’accord porte sur la construction d’une ligne ferroviaire à écartement standard, en anglais Standard Gauge Railway (SGR) et est financé à 90% par la Chine. Avec ce montant, le nouveau projet ferroviaire devient le plus important de l’ère post-indépendance du pays, mais également le plus cher de son histoire.

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De Nairobi à Mombasa en 4 heures de train.

 

Il faut dire qu’aux yeux du président Uhuru Kenyatta et de son gouvernement, le jeu en vaut la chandelle. Au-delà de combler le manque d’infrastructures dont souffre le pays, les autorités kenyanes veulent faire de ce projet une véritable locomotive pour la croissance de l’économie.
En effet le SGR vise à relier le port de Mombasa (plus grand port du Kenya et d’Afrique de l’Est), à la capitale Nairobi, dans sa première phase, sur près de 480 km. Ceci permettra de réduire le coût et surtout la durée du transport de passagers entre les deux villes, à quatre heures de temps, contre près d’une journée sur l’ancienne ligne datant de l’époque coloniale. Non seulement la ligne servira au transport de passagers, mais elle servira également au transport de fret, afin d’augmenter les activités du port de Mombasa.

D’après la Kenya Railways Corporation, 40% du transport de fret devrait être assuré via la nouvelle ligne d’ici 2025, contre les 5% qui étaient assurés par les rails. Il permettra également de réduire la durée du transport de fret entre les deux villes, de 48 à huit heures. Pour le ministre des transports, James Macharia, le SGR permettra d’accroître de 1,5% le produit intérieur brut (PIB) du Kenya.

 

De fortes valeurs sociales et économiques

Depuis le lancement de la phase de construction de la ligne jusqu’à son opérationnalisation en 2017, le SGR a eu un impact positif sur l’économie kenyane.

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25 000 ouvriers kenyans ont participé à la construction.

 

Sur le plan social, il a favorisé la création de plusieurs milliers d’emplois directs et indirects. Plus de 25 000 ouvriers kenyans ont été embauchés sur le projet du chemin de fer Mombasa-Nairobi, sans compter les emplois et activités parallèles qu’un tel chantier a créé.

Plus de 25 000 ouvriers kenyans ont été embauchés sur le projet du chemin de fer Mombasa-Nairobi, sans compter les emplois et activités parallèles qu’un tel chantier a créé. 

Pour le commun des Kenyans, la mise en service de cette nouvelle ligne en 2017 a considérablement réduit le coût du transport entre les deux villes. En effet, rallier Nairobi à partir de Mombasa en train coûte désormais un peu moins de 10$ en classe économique, soit légèrement moins que le prix d’un bus, et quatre fois moins qu’un voyage en avion. Entre mai 2017 et décembre 2018, la ligne Mombasa Nairobi a permis de transporter plus de 2,3 millions de passagers, pour un revenu estimé à 22,1 millions $.

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2,3 millions de passagers en 19 mois.

 

Sur la même période, plus de 5 millions de tonnes de frets ont été transportés pour un revenu total estimé à 86,3 millions $, d’après les chiffres de la Kenya Railways Corporation (KRC) consultés par l’agence Ecofin. A titre de comparaison, le quotidien Daily Nation indiquait qu’en 2010, seulement 1,5 million de tonnes de frets ont été transportés via les rails.

 

Une potentielle menace pour les finances publiques ?

Pourtant, malgré ces perspectives et retombées positives, le projet ne cesse de déchaîner les critiques. Celles-ci proviennent à la fois de la société civile, de la classe politique, mais aussi de plusieurs experts nationaux et internationaux. Au cœur de la tempête, la Chine, ou plutôt les méthodes de financement jugées « peu orthodoxes » de Pékin.

En effet, en finançant à 90% le SGR, l’empire du milieu augmente considérablement sa part dans une dette publique kenyane, de moins en moins viable, d’après plusieurs institutions internationales (58% en 2017/2018 d’après le FMI). Selon le Business Daily, la Chine détenait en 2018 près de 72% de la dette publique bilatérale du Kenya, contre un taux de 57% en 2016 seulement.

Selon le Business Daily, la Chine détenait en 2018 près de 72% de la dette publique bilatérale du Kenya, contre un taux de 57% en 2016 seulement.

D’après de nombreux médias kenyans, l’Etat aurait (dans le cadre du SGR) mis en garantie certaines de ses entreprises publiques, qui pourraient être saisies en cas de défaut de paiement. Si ces informations ont été démenties par Pékin, le cas du Sri-Lanka qui a dû mettre son port de Hambantota sous pavillon chinois pour 99 ans (après avoir manqué d’honorer sa dette), reste dans les esprits.

Le cas du Sri-Lanka qui a dû mettre son port de Hambantota sous pavillon chinois pour 99 ans (après avoir manqué d’honorer sa dette), reste dans les esprits.

Pour de nombreux analystes, le SGR kenyan ne vaut pas le coût pour lequel il a été lancé. La BBC indique que chaque kilomètre de la nouvelle ligne Mombasa-Nairobi a coûté 5,6 millions $, soit «trois fois le standard international et quatre fois l’estimation initiale ».

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Le projet a nécessité la construction de nombreux ponts.

 

A titre de comparaison, la ligne ferroviaire Addis-Abeba-Djibouti, un autre SGR s’étendant sur 756 km n’a coûté que 3,4 milliards $, financé à 70% par la Chine. De plus, la ligne éthiopienne étant électrifiée, sa conception devrait revenir beaucoup plus chère que celle entre Mombasa et Nairobi.

La BBC indique que chaque kilomètre de la nouvelle ligne Mombasa-Nairobi a coûté 5,6 millions $, soit «trois fois le standard international et quatre fois l’estimation initiale ».

Pour justifier ce coût élevé le gouvernement kenyan indique que le terrain particulièrement difficile a nécessité la construction de nombreux ponts (environ 98) et de nombreux tunnels. Des compensations ont dû être réalisées pour la réquisition de certaines terres, et certaines spécifications ont dû être réalisées pour augmenter la capacité de transport de fret via la nouvelle ligne.

Pourtant, si les deux infrastructures ne peuvent être directement comparées, les contribuables peuvent légitimement se poser des questions sur ce que leur coûtera à eux et à la future génération, un tel projet.

De plus, même si de nombreux Kenyans ont pu bénéficier d’un emploi grâce au SGR, force est de constater que la majeure partie des postes de direction du projet a été conservé par les travailleurs chinois. La plupart des trains circulant sur la nouvelle ligne, sont dirigés par des conducteurs chinois.

Force est de constater que la majeure partie des postes de direction du projet a été conservé par les travailleurs chinois. La plupart des trains circulant sur la nouvelle ligne, sont dirigés par des conducteurs chinois.

Ceci a soulevé de nouvelles controverses, quant aux méthodes chinoises jugées peu favorables au transfert de compétences, alors que les autorités kenyanes ont annoncé que l’entièreté des postes clés ne seraient confiés à des Kenyans que d’ici 2027.

 

Un projet d’extension menacé…

Dès le départ, la ligne Mombasa-Nairobi semble avoir été conçue pour s’imbriquer plus facilement dans un réseau de chemin de fer plus grand, devant notamment relier le pays à l’Ouganda. Ceci devait permettre de développer un réseau s’étendant à plusieurs pays est-africains (RDC, Ethiopie, Soudan du Sud, Ouganda, Rwanda, Burundi) qui n’ont pas de façade maritime.

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Il est prévu que tous les postes clés soient confiés à des Kenyans d’ici 2027.

 

Hélas, l’avenir de ce projet semble de plus en plus brumeux pour ses défenseurs. En effet, il y a quelques semaines plusieurs médias kenyans indiquaient que le président Uhuru Kenyatta avait essuyé un refus de la part de la Chine, de débloquer un nouveau financement de 3,6 milliards $. Ce financement devait permettre d’étendre le SGR kenyan aux villes de Naivasha et Kisumu, puis vers l’Ouganda afin de booster les échanges commerciaux dans la sous-région.

Il y a quelques semaines plusieurs médias kenyans indiquaient que le président Uhuru Kenyatta avait essuyé un refus de la part de la Chine, de débloquer un nouveau financement de 3,6 milliards $.

Officiellement, les autorités chinoises auraient suspendu le financement pour « établir la viabilité commerciale du projet ». Au cours de la première année de sa mise en service, la ligne Mombasa-Nairobi avait en effet connu des débuts difficiles enregistrant une perte de près de 100 millions $. Même si l’infrastructure a commencé à générer des profits, plusieurs observateurs indiquent que cette perte a pu influencer la décision de Pékin.

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Selon le gouvernement, le SGR fera gagner au Kenya 1,5 point de PIB.

 

Au début du mois de mai, le ministre James Macharia annonçait que le gouvernement envisageait de réhabiliter une ancienne ligne ferroviaire pour connecter son SGR au réseau ferroviaire ougandais. Mais pour l’instant aucun détail n’a été révélé sur la manière dont les trains du SGR, seront reliés à l’ancienne ligne ferroviaire (vieille de 120 ans) qui fonctionne selon des standards beaucoup plus vieux.

Moutiou Adjibi Nourou

Moutiou Adjibi

 

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