(Agence Ecofin) - Le Parlement kényan a sans surprise adopté l'abrogation de la loi qui sur les trois dernières années, limitait les taux d'intérêt appliqués aux crédits bancaires, à seulement 4% au-dessus du taux directeur de la Banque centrale. La nouvelle situation législative pourrait donc avoir des conséquences diverses selon les types d'acteurs et sous-secteurs de la finance.
Les grands vainqueurs de cette bataille sont les banques, notamment les plus grosses comme Equity Group ou encore Kenya Commercial Bank. Avec d'autres institutions financières de même catégorie, ils ont durement combattu la loi abrogée, de sa conception à sa mise en œuvre. Leur argument principal était que, limiter la capacité pour les banques de recevoir un prix équitable pour le risque qu'elles prennent, n'était pas du tout positif.
L'application de cette loi de limitation sur les taux d'intérêt aura donc été marquée par une grosse campagne médiatique contre, et sur le plan bancaire elle s'est traduite par un refroidissement de la croissance des crédits à l'économie. Les investisseurs qui ont effectué des placements sur les actions des banques avaient perdu espoir de voir les revenus augmenter sur un marché bancaire très concurrentiel.
Sur le Nairobi Securities Exchange, les banques figurent désormais en bonne place des entreprises dont les valeurs ont fortement progressé au cours du dernier mois. Une période qui coïncide avec le moment où le président Uhuru Kenyatta a renvoyé la Loi de finances, imposant au Parlement de revoir la loi sur la limitation des taux. Loin d'être un grand ami des banques, les raisons de la volte-face du chef de l'Etat kényan sont d'ordre pragmatique.
Un objectif fiscal derrière le soutien décisif du président Uhuru Kenyata ?
Plusieurs raisons peuvent avoir poussé Uhuru Kenyata à militer pour le changement de loi. La première c'est que le gouvernement kényan est en inconfort avec sa dette aussi bien interne qu'externe, alors qu'il doit faire face à plusieurs attentes sociales ; déjà, après avoir âprement remporté la dernière élection présidentielle qui a laissé le pays divisé. De même, la population kényane a crû de 26% au cours des 10 dernières années, alors que les revenus fiscaux n'ont pas connu le même boom. Avec la limitation des taux d'intérêt, les entreprises, notamment les moyennes, n'avaient plus accès au crédit et donc ne pouvaient plus soutenir leurs activités et payer les impôts.
Ensuite, les banques qui sont près de 40 au Kenya, sont de grands contributeurs de l'impôt sur le revenu des sociétés. Pour la présidence, si elles peuvent reprendre les activités d'intermédiation financière, elles auront plus de revenus, et donc plus d'impôts seront payés par le secteur qui est très développé au Kenya. Mais cette nouvelle impulsion donnée aux ténors du secteur du crédit risque de peser sur d'autres acteurs.
A la faveur des taux d'intérêt plus bas, des personnes ont contracté des prêts et risquent de se trouver dans une difficulté encore plus grande à rembourser. Les défauts risquent de s'accumuler et les banques devront bien manœuvrer pour s'en sortir. En outre, le repli des banques à prêter notamment à des profils jugés risqués, avait ouvert la voie à un ensemble de petites structures de microfinance et sociétés de paiement qui offraient des services de nano crédit. Ce sous-secteur pourrait être ébranlé.
Enfin, des experts du Fonds monétaire international ont relevé que supprimer la loi sur la limitation des taux n'était pas la panacée et que de nouvelles mesures d'accompagnement s'imposaient. Le directeur Abebe Aemro Selassie en charge de l'Afrique au sein de l’institution, a suggéré que le gouvernement aurait pu pousser le secteur bancaire à plus de compétition. Un exemple suivi au Nigeria, où la Banque centrale a interdit les banques commerciales d'investir sur le marché des titres publics à court terme.
Idriss Linge
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