Pour un accès inclusif aux aliments en temps de covid-19 (Paule Moustier)

(Ecofin Hebdo) - Avec la crise du Covid-19, de nombreux pays africains ont opté pour des mesures de confinement ou de restrictions qui ont affecté plusieurs secteurs économiques. Parmi ceux-ci, le commerce de proximité composé notamment d’épiceries, des marchés de plein air ou encore d’échoppes de quartier. Dans son analyse, Paule Moustier responsable de l’unité de recherche « Marchés, organisations, institutions et stratégies d'acteurs » au CIRAD, appelle à une réglementation de la distribution adaptée à la diversité des formats, afin de maintenir une proximité sans contact dans le contexte de la pandémie.

En Afrique, l’approvisionnement alimentaire marchand est assuré en grande majorité par des circuits artisanaux, à petite échelle, très pourvoyeurs d’emploi. Ceux-ci sont souvent qualifiés de traditionnels ou d’informels.

En réalité, l’organisation des échanges suit une logique économique finalement plutôt lisible : circuits courts pour les produits frais, circuits longs pour les produits qui se stockent, avec des intermédiaires collecteurs et grossistes, marchés de gros situés aux points d’arrivée en ville des transports routiers et ferroviaires, relations personnalisées entre les acteurs de l’offre et de la demande garantissant flexibilité et solidarité.

Les prix au détail restent bas car les acteurs engagés sont davantage dans une logique de subsistance que de profit, avec des activités intensives en travail et extensives en capital. Avec l’émergence d’une classe moyenne, la grande distribution et le commerce en ligne font aussi leur apparition. Les aliments y sont généralement plus chers que sur les marchés artisanaux, et font l’objet de plus d’investissements en termes de logistique, présentation, communication, et, parfois, de contrôle de qualité.

La proximité physique et relationnelle est un atout car elle permet la rapidité des échanges commerciaux, alors que les déplacements sont contraints en temps de covid-19, et une forme de responsabilité des acteurs de la chaîne d’approvisionnement les uns vis-à-vis des autres.

L’approvisionnement alimentaire africain est caractérisé par une triple recherche de proximité : celle des consommateurs pour l’accès aux aliments, surtout frais, à cause du manque de moyen de stockage à domicile et du caractère fluctuant des revenus ; celle des commerçants et producteurs vis-à-vis de leurs partenaires d’échange, afin de limiter les risques d’invendus ; la proximité des lieux de production, d’échange et de consommation, surtout pour les produits frais, du fait des difficultés de transport.

La proximité physique et relationnelle est un atout car elle permet la rapidité des échanges commerciaux, alors que les déplacements sont contraints en temps de covid-19, et une forme de responsabilité des acteurs de la chaîne d’approvisionnement les uns vis-à-vis des autres. Le défi est de maintenir cette proximité physique et relationnelle… sans contact.

 1Marche Lome Togo

« Le défi est de maintenir cette proximité physique et relationnelle… sans contact. »

 

La crise du covid-19 met à l’épreuve la diversité des formats de distribution, et l’organisation des circuits d’approvisionnement. C’est grâce à la présence de petits marchés et boutiques que les populations défavorisées peuvent avoir accès à des aliments de manière quotidienne. Mais il est tentant pour les gouvernants de fermer les marchés, qui sont des lieux de rassemblement et sont souvent congestionnés, tandis que la grande distribution peut continuer à opérer. Les consommateurs peuvent craindre de moindres pratiques d’hygiène sur les marchés informels par rapport à la grande distribution. Ces questions ne sont pas nouvelles et se posent dans tous les pays du monde. Les crises sanitaires ont souvent été des moteurs d’industrialisation de la production et de la distribution.

Ces questions ne sont pas nouvelles et se posent dans tous les pays du monde. Les crises sanitaires ont souvent été des moteurs d’industrialisation de la production et de la distribution.

En effet, la production industrielle et la grande distribution bénéficient d’une image de meilleure garantie de l’application de protocoles sanitaires. 

Avec le covid-19, la très forte contagiosité du virus nécessite de limiter drastiquement les contacts, ce qui est plus difficile dans les marchés artisanaux que dans la grande distribution. Cependant, des solutions existent, et des gouvernements ont été courageux et inventifs pour préserver l’opération des marchés physiques.

Cependant, des solutions existent, et des gouvernements ont été courageux et inventifs pour préserver l’opération des marchés physiques.

C’est le cas de la Côte d’Ivoire, où des consignes sont  édictées et contrôlées pour les marchés : robinet d’eau à l’entrée, port du masque, désinfection, ou à Dakar (rotation par jours de marché selon les produits vendus). Par contre, en Afrique du Sud, tous les marchés ont été fermés au profit des supermarchés.

2supermarché

« La production industrielle et la grande distribution bénéficient d’une image de meilleure garantie de l’application de protocoles sanitaires. » 

 

Il est intéressant d’échanger de bonnes pratiques de mesures sanitaires sur les marchés physiques ; par exemple à Parme en Italie, les entrées et sorties sont différenciées, des masques et gants jetables sont distribués, une surface de 10 m² doit être prévue par client, on ne peut toucher les produits en vrac, les vendeurs doivent signer un document attestant de la connaissance des consignes.

En France, le principal syndicat agricole, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricole (FNSEA), a obtenu du gouvernement la validation d’un protocole sanitaire permettant aux maires et préfets de rouvrir les marchés locaux si certaines conditions sont réunies, notamment l’emballage des produits dans des sachets, une distance de 2 mètres entre les clients.

En Chine, les ventes sur les marchés ont été maintenues dans la province de Wuhan, avec un protocole sanitaire strict. La réglementation doit être établie de manière concertée avec les parties prenantes, elle doit être claire et bien connue de tous. Ce défaut de clarté a été pointé dans le cas de l’Algérie.

Par ailleurs, il est important de faciliter l’accès des producteurs, commerçants et consommateurs aux outils numériques pour favoriser leur mise en relation et les ventes directes, soit par la livraison à domicile des consommateurs, soit par le retrait des colis dans des boutiques de producteurs.

Le paiement est une étape clé de garantie sanitaire, car les échanges de monnaie favorisent la propagation du virus. Il est important que les consommateurs comme les commerçants puissent avoir accès à des gels hydro-alcooliques quelle que soit leur catégorie de revenus.

Pour les populations particulièrement vulnérables, il est recommandé que les pouvoirs publics, les associations, organisent des livraisons de produits alimentaires, en provenance de l’agriculture locale.

Pour les populations particulièrement vulnérables, il est recommandé que les pouvoirs publics, les associations, organisent des livraisons de produits alimentaires, en provenance de l’agriculture locale. C’est ce qui a été mis en place dans certains états du Brésil ou au Vietnam (Dao The Anh, communication personnelle). A Wuhan et Quito, des bus alimentaires ont été mis en circulation pour ce type de livraisons.

En conclusion, le soutien aux PMEs alimentaires est majeur pour l’accès des plus défavorisés aux aliments et à l’emploi, en temps de crise, tout en économisant les ressources publiques.

Plus l’activité des PMEs du secteur de la distribution et de la transformation des aliments sera soutenue par les pouvoirs publics, moins il sera nécessaire de compenser les pertes de revenus par des programmes d’aide alimentaire consommateurs de ressources publiques.

Paule Moustier, CIRAD

Le texte complet et les références

Lire aussi l'entretien avec Paule Moustier le mois passé

 

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