(Agence Ecofin) - Les chefs d'Etat de l'Ouganda, du Sénégal ainsi que les représentants du président du Ghana, du Niger et du Congo-Brazzaville se sont réunis les 17 et 18 janvier à Lomé autour du président togolais Faure Gnassingbé, pour lancer une nouvelle initiative de lutte contre le trafic de faux médicaments et les traitements à efficacité réduite. Une initiative qui se revendique d'être la première sur le plan politique.
« La particularité de notre initiative est double. Pour la première fois, elle est portée par des chefs d'Etat africains et repose sur un fondement politique fort », a expliqué le président Gnassingbé, prenant la parole en ouverture des travaux. La déclaration de Lomé a été effectivement signée et donne mandat à la Fondation Brazzaville, l'organisation à l'initiative de ce projet, de poursuivre les études qui permettront de déboucher sur un accord-cadre des Etats, parties prenantes de l'initiative.
Ce travail ne s'annonce pas facile en raison de gros arbitrages. Une des orientations fortes défendues par les experts de la fondation est celle d'un renforcement de l'arsenal juridique, notamment dans des pays d’Afrique subsaharienne francophone. Dans beaucoup de pays, le crime de production et distribution de faux médicaments est beaucoup moins sanctionné que le trafic de drogue.
« Aujourd'hui, des trafiquants peuvent être simplement condamnés à des amendes ou à des peines de prison ridicules, donc il n'y a aucun effet de dissuasion. Une des missions de l'accord-cadre sera de créer des infractions nouvelles qui sont spécifiques à la fois au trafic et à la distribution des médicaments faux ou contrefaits. Elles seront assorties de peines lourdes qui pour les trafiquants, ne doivent pas être inférieures à 15 ans », a fait savoir Jean-Louis Bruguière, un ex-juge antiterroriste en France qui travaille aujourd'hui avec la fondation.
Au-delà du pénal, renforcer l’accessibilité et la gouvernance sur les chaînes d’approvisionnement
Si l'idée d'un renforcement du dispositif pénal est admise par beaucoup, d'autres parties prenantes à la discussion ont pour leur part, indiqué qu'il y avait aussi la nécessité de travailler sur l'accessibilité du médicament. Argumentant sur ce point précis, Moustafa Mijiyawa, le ministre togolais de la Santé publique a partagé une expérience dans laquelle l'extension de la couverture santé aux fonctionnaires et dans le système académique de son pays, a au moins réduit de 30%, le risque de déploiement des faux médicaments. « L'un des moyens efficaces pour combattre l'irrégulier, c'est d'instaurer le régulier », a-t-il fait remarquer.
Cette manière de voir est aussi partagée au sein de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) qui ouvre même d'autres champs de perspectives. « Il est en effet important d'avoir de bons instruments juridiques de répression sur ce trafic de faux médicaments ou de faible qualité, mais de l'autre côté, il ne faut pas oublier que les facteurs aggravants du phénomène sont la faible accessibilité aux médicaments de qualité, une faible gouvernance dans le secteur de la santé des pays, et une faible capacité technique sur la chaîne d'approvisionnement des médicaments », a rappelé le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l'OMS qui participait aux travaux.
Il a aussi rappelé d'autres initiatives multilatérales en cours et qui visent d'une certaine façon le même objectif. C'est le cas du traité de l'Union africaine sur la création d'une Agence africaine du médicament qui a été présentée par Pierre Buyoya, ancien président du Burundi, qui intervenait comme représentant de Mahamat Faki, président de la Commission de l'Union africaine.
Aujourd'hui, seulement 10 pays ont signé le document qui a besoin de 15 ratifications. Des pays de la déclaration de Lomé, seul le Ghana a déjà signé. Le Sénégal et le Togo ont promis une ratification très prochaine, par la voix de leurs chefs d'Etat.
Le trafic de faux médicaments est aujourd'hui présenté comme un des plus néfastes, car il repose sur des consommateurs qui les achètent en toute légitimité. Les conséquences humaines indiquent que près de 122 000 enfants sont décédés en Afrique du fait de ces produits. Selon le juge Bruguière, le rendement pour les trafiquants est plus important que celui de la drogue.
Les responsables togolais espèrent aussi convaincre d'autres pays africains à se joindre à leur initiative. Une tâche qui ne s'annonce pas facile. Un des pays pointés du doigt dans ce trafic, le Nigeria, n'a pas participé directement aux travaux. Harmoniser les législations avec ce pays ne sera pas évident. Tout comme le Ghana, le pays encourage la production locale de médicaments pour répondre à une demande forte des populations.
Le financement de l'initiative sera aussi un défi complexe. L’un des grands enjeux au-delà de la mobilisation des ressources sera celui de leur répartition en priorité. L’exemple des luttes contre les trafics de drogue ou des armes ont bien montré que la répression n’est pas toujours efficace. Dans le même temps, une des voies à explorer serait celle de développer l’industrie du médicament dans la région, qui représente une grande opportunité d’investissement.
Idriss Linge
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