KPMG Afrique du Sud: faste, pouvoir, plumes et goudron

(Ecofin Hebdo) - Plus grand est l’empire, plus dure est la chute. Il aura fallu quelques mois à la filiale sud-africaine du cabinet d’audit et de conseil KPMG pour expérimenter cette vérité. L’entité installée dans le pays depuis 1895 y emploie 3400 personnes et constitue avec Ernst & Young, Deloitte et PwC, le «big four» des cabinets d’audit et de conseil du pays. Mais, depuis les Gupta  Leaks,  une bonne partie de ces acquis est remise en cause. La faute à des rapports d’audit très éloignés des standards internationaux et d’une connivence avec certains amis du pouvoir sud-africain.

 

Un mariage et un enterrement

Pour KPMG, les difficultés commencent avec les «Gupta Leaks». Un ensemble de mails ayant fuité révèle le fonctionnement de l’empire des Gupta. Ces trois frères indiens actifs dans plusieurs secteurs de l’économie sud-africaine, sont accusés d’entretenir des liens troubles avec le pouvoir, notamment avec le président sud-africain Jacob Zuma.

Il faut noter que les Gupta Leaks ont déjà fait une victime. En effet, l’agence de relations publiques britannique Bell Pottinger a été contrainte à la vente pour sauver ce qu’il restait d’une réputation fortement compromise après une publicité raciste pour le compte de ses clients indiens. KPMG, lui, joue sa survie en raison de son laxisme et de sa collusion avec ces derniers. Il est d’abord reproché à la compagnie d’avoir fermé les yeux sur des actes de détournements de fonds publics pratiqués par une compagnie appartenant aux Gupta: Linkway Trading.

Il est d’abord reproché à la compagnie d’avoir fermé les yeux sur des actes de détournements de fonds publics pratiqués par une compagnie appartenant aux Gupta.

Linkway Trading a financé le mariage de la nièce des Gupta avec environ 2 millions $, octroyés par la province de Free-State pour financer un projet agricole impliquant une ferme des Gupta... La firme a fait passer cette opération pour une dépense d’entreprise sans que KPMG ne le relève dans son rapport d’audit. Circonstance accablante, le directeur de la filiale sud-africaine et trois de ses collaborateurs étaient présents à ce mariage.

A la découverte du scandale, la réaction du public ne se fait pas attendre. Des voix appellent au retrait de l’agrément d’auditeur de KPMG, et certains de ses clients le lâchent. Le régulateur des cabinets d’audit du pays, l’IRBA, diligente une enquête pour évaluer l’ampleur du problème et prendre les sanctions appropriées.

 

Le bras armé du pouvoir

Si cette affaire peut paraître compromettante, elle est rapidement éclipsée dans l’opinion publique par une autre dont la révélation fera l’effet d’une bombe. KPMG a fourni au Service en charge du recouvrement des taxes (SARS) une enquête «en dessous des standards internationaux» comme le reconnaît plus tard la nouvelle équipe dirigeante de l’auditeur.

Dans ce document, la firme révèle l’existence d’un «rogue cabinet» (un «cabinet voyou») qui effectuerait en toute illégalité des enquêtes sur certains hommes politiques et certaines compagnies dont celles des Gupta.

Le rapport indique, qu’en raison de son activité au sein du SARS, l’ex-ministre des finances Pravin Gordhan, qui a dirigé le service de 1999 à 2009, « ne pouvait pas ignorer l’existence de cette cellule et qu’il pourrait même l’avoir instituée ». Ce sera l’argument qu’utilisera Jacob Zuma pour limoger un collaborateur un peu trop franc du collier, qui n’hésitait pas à aller dans le sens de l’intérêt du pays plutôt que de son président.

 


Pravin Gordhan

Pravin Gordhan : « Aussi, l’institution est-elle désormais dirigée par des gens qui n’ont aucune idée de comment se manage une administration fiscale.»

 

Les marchés réagissent mal à ce limogeage, le rand dévisse, les cours des actions reculent à la JSE, et les agences de notation dégradent la note souveraine du pays. Questionné par Bloomberg, M. Gordhan déclarera: «De très bonnes personnes ont été sévèrement intimidées à cause de ce rapport. Son retrait ne constitue en rien une compensation pour la souffrance qui a été celle de ces gens. Il est temps que le monde des affaires, et plus particulièrement des firmes comme KPMG, apprenne à présenter des excuses correctes et dise toute la vérité. Je verrai avec mes avocats quelles suites donner à cette affaire».

Pour l’ex-ministre des finances, KPMG s’est fait le bras armé d’une mise en coupe réglée du SARS. «La collaboration enthousiaste et sans réserve de la direction de KPMG, leur collusion avec certains personnages nuisibles au sein du SARS ont directement contribué à une mise sous coupe réglée de l’institution. Il faut toujours garder à l’esprit qu’on s’est attaqué ici au SARS en tant qu’institution avec pour intention de l’avoir aux bottes du pouvoir. Pour cela, il fallait remplacer les bonnes personnes par  d’autres, plus malléables, afin de faciliter la réalisation de ce projet. Aussi, l’institution est-elle désormais dirigée par des gens qui n’ont aucune idée de comment se manage une administration fiscale. Ils ne savent même pas quelles sont les compétences dont ils ont besoin, ni comment on les utilise.»

 

Réactions en chaîne

Quand ce nouveau scandale est découvert, l’indignation est unanime dans les milieux des affaires. De nombreux clients de la firme parlent de réévaluer les rapports qu’ils entretiennent avec elle.  KPMG aura beau prendre des mesures pour éteindre l’incendie naissant en limogeant 8 membres de son top management, dont le président du conseil d’administration et le directeur général, et en procédant à des remplacements dans son équipe de direction, rien n’y fait. Certaines compagnies franchissent le cap et résilient les accords qui les lient à l’auditeur. Parmi celles-ci, la Witts University, l’une des plus importantes du pays, Munich Re of Africa, Sasfin Holding Ltd, Sygnia Asset Management et Hulisani Ltd ou encore le distributeur The Foschini Group (TFG). D’autres, à l’image de Barclays, d’Investec ou de Telkom SA, attendront la fin de l’audit de l’IRBA et des explications de la firme avant d’annoncer leur décision. 

 

Nhlamu Dlomu and head of public sector Modise Maseng

Nhlamu Dlomu et Modise-Maseng, head of public sector, rendent des comptes face aux parlementaires.

 

A KPMG, l’heure est au mea culpa. Et c’est la nouvelle direction qui s’y colle. Mais, sachant que battre sa coulpe ne suffira pas, la compagnie diligente un audit interne mené par un cabinet indépendant. Alors que les résultats se font attendre, la nouvelle équipe s’explique devant le parlement sud-africain. «J’ai été personnellement très déçue par la façon dont nous avons été bien en deçà des standards de qualité que nous nous sommes fixés. Je suis déterminée à ce que ces erreurs ne se reproduisent plus jamais. C’est la raison pour laquelle nous avons effectué plusieurs changements dans notre structure interne, et je continue à mener d’autres réformes.», déclarera Nhlamu Dlomu, numéro un fraîchement portée à la tête de la compagnie, devant les parlementaires.

A la maison-mère de la firme, même si on réaffirme sa confiance dans la capacité de la filiale à mener les changements nécessaires et à regagner à terme la confiance de la clientèle, on suit de très près cette affaire dont on craint un effet de contagion. Ainsi que l’explique Lesetja Kganyago, gouverneur de la Banque centrale d’Afrique du Sud (SARB), le spectre d’Arthur Andersen plane sur le futur du cabinet d’audit. Arthur Andersen qui faisait partie du «big five» des cabinets d’expertise-comptable de la planète a, depuis, coulé pour avoir été associé au scandale Enron. «Cette affaire n’a pas coulé Arthur Andersen aux USA. Elle a coulé Arthur Andersen, point à la ligne. Dans le cas de KPMG, s’ils sont obligés de quitter l’Afrique du Sud, ils ne partiront pas que d’Afrique du Sud», a souligné le responsable.

 

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Pour Lesetja Kganyago, « dans le cas de KPMG, s’ils sont obligés de quitter l’Afrique du Sud, ils ne partiront pas que d’Afrique du Sud».

 

La SARB, un ami qui vous veut du bien

Dans la tourmente, KPMG se trouve un allié discret mais efficace: la Banque centrale sud-africaine. Certes, l’institution a dénoncé avec véhémence les pratiques du cabinet. Mais dans les coulisses, il se dit qu’elle recommande aux établissements financiers du pays de ne pas agir dans la précipitation. En effet, selon la législation en vigueur en Afrique du Sud, les plus grands établissements bancaires du pays doivent être audités par un duo de cabinets parmi Ernst & Young, Deloitte, KPMG et PricewaterhouseCoopers (PWC). Ces quatre auditeurs étant les seuls à offrir le niveau d’expertise requis par la banque. En outre, ces binômes doivent changer tous les cinq ans.

«Si KPMG était lâché par ces banques ou chassé du pays, cela laisserait l’Afrique du Sud vulnérable. Se retrouver avec trois firmes d’audit n’est pas bon pour la concurrence», dit-il.

Dans un tel contexte, une mise au ban de KPMG affecterait l’équilibre et la stabilité de l’économie, comme le déclare Lesetja Kganyago au Financial Times. «Si KPMG était lâché par ces banques ou chassé du pays, cela laisserait l’Afrique du Sud vulnérable. Se retrouver avec trois firmes d’audit n’est pas bon pour la concurrence», dit-il.

Cependant, officiellement, la Banque centrale se défend d’une telle action. «La SARB aimerait réaffirmer catégoriquement qu’elle n’a pas donné d’instructions aux banques quant à ce qu’elles devraient faire ou ne pas faire en ce qui concerne leurs contrats avec KPMG», a-t-elle indiqué dans un communiqué officiel. Certes, Lesetja Kganyago a affirmé à quel point son institution était préoccupée par les «pratiques regrettables » de KPMG et qu’elle se concerterait  avec les banques et les auditeurs pour voir quelles améliorations mettre en place afin que la SARB puisse mieux gérer les risques pouvant affecter la stabilité financière. Certes, ces concertations ont eu lieu, mais jamais la Banque centrale n’a donné des instructions aux différentes parties, affirme l’institution.

Il n’empêche qu’elle n’envisage pas pour le moment une fermeture de KPMG. Le numéro deux de la SARB, Kuben Naidoo, va jusqu’à estimer que KPMG devrait se voir donner la possibilité de restaurer son image par le biais d’une enquête indépendante, tout en indiquant que les risques pour l’économie sud-africaine, liés à la situation que connaît l’auditeur était circonscrits…

 

Quelles conséquences politiques?

Aujourd’hui, la question que beaucoup se posent est l’impact que pourrait avoir cette énième affaire sur le destin politique du pays. En effet, en manipulant ses rapports, KPMG s’est fait l’instrument des Gupta dont les liens troubles avec l’actuel président sud-africain Jacob Zuma provoquent l’indignation d’une bonne partie du pays. Or, l’African National Congress (ANC), principal parti politique du pays, doit choisir son nouveau président qui a de très grandes chances de diriger le pays.


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Cyril Ramaphosa et Jacob Zuma : la lutte à mort est engagée.

 

Dans cette joute s’opposent le tycoon Cyril Ramaphosa et l’ex-femme de Jacob Zuma qui a également été présidente de la Commission de l’Union africaine, Nkosazana Dlamini-Zuma. Dans un contexte où les affaires rattrapent chaque camp (une affaire d’infidélité pour Ramaphosa), le scandale KPMG pourrait être la goutte qui fera déborder le vase et faire basculer des votes-clés en faveur de Ramaphosa et, ainsi, sanctionner la gouvernance de Jacob Zuma.  

 

Aaron Akinocho

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