(Agence Ecofin) - Directeur chez Auerbach Grayson, une entreprise de courtage basée à New York, avec 20 ans d’accompagnement des investisseurs en Afrique, Colin Bell gère un portefeuille constitué de l’Afrique, du Moyen Orient et de l’Asie du Sud. Intervenant lors de la 17ème Assemblée Générale de l’Africa Securities Exchanges Association, il a échangé avec Ecofin sur l’expérience de son groupe en matière d’investissement sur le continent.
Agence Ecofin : Comment vous définiriez l’Afrique en tant que marché frontière, quelle perception en avez-vous ?
Colin Bell : Je définirais l’Afrique subsaharienne particulièrement comme la région avec le plus grand potentiel, pas seulement en terme de croissance dont tout le monde parle très souvent ces dernier temps, mais aussi pour des gains de productivité qui pourrait venir de l’investissement des capitaux dans les domaines de l’infrastructure, l’industrie manufacturière, la logistique et, dans un terme plus long, dans le domaine de l’éducation. A travers ces gains de productivité, le continent va se moderniser et les investisseurs recevront de retours intéressants sur les capitaux qu’ils auront engagés.
AE : En sa qualité de marché frontière, l’Afrique continue de présenter un certain nombre de risques pour les investisseurs, comment Auerbach Grayson appréhende ce risque ?
CB : Nous sommes présents en Afrique depuis aujourd’hui 20 ans, mais nous sommes présents dans d’autres régions d’un niveau de développement supérieur ou équivalent depuis bien plus longtemps, et qui ont souvent aussi présenté initialement des risques politiques ou sociaux, parce que c’étaient de jeunes pays. Donc le risque n’est pas propre à l’Afrique, on le retrouve aussi dans d’autres pays en Asie ou au Moyen Orient. Nous acceptons ces risques, parce que nous croyons fortement que, sur le long terme, il est important pour les capitaux privés et les marchés en général de jouer un rôle majeur de l’évolution de ces pays. Il y aura toujours des bons moments et des moments moins bons, il y aura toujours une surestimation et une sous-estimation des opportunités, c’est un cycle normal. Pour nous qui nous engageons sur le long terme, notre expérience nous apprend que le capital est une condition nécessaire à la stabilisation des forces dans ces parties du monde et c’est sur cette conviction que se forge notre engagement en Afrique.
AE : quelles sont les principales opportunités qui font la force de continent ?
CB : Déjà l’Afrique est vaste, possède près d’un milliard d’habitants, est pourvue en richesses naturelles, et surtout nous n’avons pas le droit de rester dans la position selon laquelle rien ne peut y évoluer. L’Afrique actuelle a une histoire tumultueuse et nous en comprenons aujourd’hui certaines raisons de cette situation. Mais cela ne peut pas durer, il arrive un moment où tous les acteurs, les leaders politiques, la société civile et la classe d’affaire commence à comprendre que leurs avoirs et leurs comptes bancaires peuvent, en réalité, bénéficier davantage d’un leadership transparent et équitable, s’ils sont mis au service de l’accroissement du gâteau que représente l’économie active, plutôt que de s’accaparer exclusivement ce qui existe à l’état brut. Dans certains pays, cela se fait plus rapidement mais dans d’autres cela prend un peu plus de temps. On l’a constaté dans d’autres régions du monde, donc je ne vois pas pourquoi les populations africaines ne bénéficieraient pas d’une meilleure gouvernance.
AE : Une des faiblesses très souvent évoquée est le coût des investissements sur les marchés financiers d’Afrique. Quel est votre avis sur ce point ?
CB: Chez nous la perception du coût des investissements est différente. Il (ce coût) est supporté solidairement par l’ensemble de nos clients. Il est vrai que faire des transactions sur les marchés financiers africains fait l’objet de contraintes en terme de coûts, du fait notamment que la liquidité y est faible, les frais de commission sont parallèlement élevés. Mais, plus que cela, les taxes et tous les autres coûts sur les transactions sont élevés. Je profite pour dire que cela n’a pas beaucoup de sens parce que les recettes tirées de ces prélèvements sont faibles pour les Etats, alors que les pertes induites par l’effet de limitation sont bien supérieures. Si en Afrique on parvenait véritablement à réduire cette pression fiscale sur les transactions financières, développer l’esprit d’entreprenariat et encourager les entreprise à grandir et à s’introduire en bourse, je crois que sur le long terme, les gouvernements pourront obtenir de meilleures recettes, grâce à un accroissement induit de l’assiette fiscale des grandes entreprises, bien plus que la fiscalité des transactions sur les marchés financiers qui empêche justement la progression des entreprises vers une certaine envergure.
AE : Vous n’êtes pas très connus du public en Afrique, francophone notamment…
CB : C’est une remarque pertinente. Nous sommes plus connus aux Etats-Unis et en Europe, parce que notre principal objectif est de promouvoir le fait que les capitaux dans ces deux parties du monde puissent être investis en Afrique et dans d’autres régions en développement, et je crois que nous sommes plus connus là où sont implantés nos clients. Généralement nous ne sommes pas très connus en Afrique, notamment francophone, parce que nous n’intervenons pas toujours en direct, nous travaillons avec des partenaires locaux, notamment des cabinets qui eux sont bien connus là où nous intervenons. Mais Auerbach Grayson on ne recherche pas une large notoriété. Parfois le plus important est de parvenir pour nos clients et les pays où nous intervenons à des résultats rapides et efficaces.
Propos recueillis par Idriss Linge, envoyé spécial à à Abidjan.
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