Comment le Nigeria se retrouve menacé de saisie pour 9 milliards $, par une compagnie gazière (le déroulé en 6 épisodes)

(Ecofin Hebdo) - Vendredi 16 août dernier, un tribunal arbitral de Londres a condamné l’Etat nigérian à verser 9,6 milliards de dollars de dédommagements à la société britannique Process and Industrial Developments Ltd (P&ID). La sentence donne également à la société d’ingénierie et de production gazière la possibilité de saisir des actifs internationaux du Nigeria.

L’affaire fait actuellement grand bruit et révèle 9 années d’une improbable cascade de négligences de la part des gouvernements nigerians successifs. Une malgouvernance que le peuple nigerian va devoir payer au prix fort.

 

2010

Signature entre le gouvernement nigérian et P&ID d’un contrat de construction d’une usine de transformation du gaz naturel

Face à la demande électrique qui ne cesse de croître, le gouvernement nigérian a besoin d’attirer des capitaux afin de produire plus de gaz naturel et le transformer pour alimenter les centrales électriques. C’est dans cette logique que le gouvernement conclut avec la société britannique P&ID un Accord d’approvisionnement et de traitement de gaz naturel (GSPA).

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2010 : le gouvernement signe avec la société britannique P&ID.

 

Concrètement, il s’agit pour le Nigeria de livrer à la société du gaz naturel qui sera transformé au sein d’un complexe ultramoderne implanté à Calabar, dans l'Etat de Cross River, dans le sud-est du pays.  Le gaz brut y sera débarrassé de l’humidité afin d’être injecté dans les turbines des centrales électriques  du pays. Les deux parties estiment à 2000 MW la capacité électrique susceptible d’être obtenue dans le cadre de l’accord.

Le GSPA était alors prévu pour couvrir une période de 20 ans. Mais une fois le contrat signé, le Nigeria s'est contenté de remiser le document dans un tiroir, sans plus y donner suite.

Où et comment extraire ce gaz ? Selon les termes du GSPA, le gouvernement investira en amont dans le développement accéléré des réserves gazières des prolifiques licences OML 67 et 123 situées en offshore. Ce même gaz servira également de base à la commercialisation sur le marché régional et international des sous-produits : propane, éthane et butane par P&ID qui espère tirer de leur vente « plusieurs milliards de dollars ». Le GSPA était alors prévu pour couvrir une période de 20 ans. Mais une fois le contrat signé, le Nigeria s'est contenté de remiser le document dans un tiroir, sans plus y donner suite.

 

2012

Face à l’indifférence du Nigéria, P&ID attaque

Deux ans sont passés et le gouvernement nigérian a décidé unilatéralement de mettre fin à l’accord, probablement parce qu’il s’est retrouvé en manque de financement pour financer la production gazière.

 2Brendan Cahill

Brendan Cahill, co-dirigeant de P&ID lance les investissements.

 

Dans l’intervalle, P&ID a, de son côté, démarré les travaux préliminaires, notamment ceux concernant l’ingénierie de l’usine. Des travaux qui lui ont coûté une enveloppe de 40 millions de dollars. En parallèle, la société contrôlée par les ingénieurs Michael Quinn et Brendan Cahill va à la recherche des financements et fournit les efforts nécessaires à la mise en œuvre du projet.

Selon les termes de l’accord signé en 2010, Abuja devrait, à cette phase déjà, s’être assuré que les gazoducs nécessaires au transport du combustible et les infrastructures connexes soient prêts. Les modalités de livraison du gaz à l’usine devaient normalement aussi être conclues.

Selon les termes de l’accord signé en 2010, Abuja devrait, à cette phase déjà, s’être assuré que les gazoducs nécessaires au transport du combustible et les infrastructures connexes soient prêts. Les modalités de livraison du gaz à l’usine devaient normalement aussi être conclues.

Après maintes tentatives infructueuses pour un retour à la normale de la situation, P&ID a porté l’affaire devant un juge arbitral à Londres. La société ayant compris que le contrat n’importait plus aux yeux du Nigeria a réclamé initialement une somme de 1,9 milliard de dollars représentant le manque à gagner, sur les 20 ans qu’aurait dû durer le projet.

A Londres, le Nigeria s'est, pour la première fois, depuis 2010, montré conciliant. Les avocats nigérians ont déclaré aux juges que le gouvernement est prêt à un règlement à l'amiable. Le juge a alors renvoyé les deux parties pour trouver un consensus, mais rien n’y fit.

 

2013

Le gouvernement nigérian reconnu coupable

Malgré son engagement à trouver un accord avec P&ID, le gouvernement nigérian n’avance pas dans la résolution de la crise et se montre très réfractaire à l’idée d’indemniser son partenaire. A cet effet, P&ID déclarait à la presse : « le Nigeria n'a jamais fait d'offre sérieuse et il est devenu clair qu’il  participait aux pourparlers uniquement pour retarder les procédures ». Les juges établissent désormais la culpabilité du gouvernement de Goodluck Jonathan.

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2013 : le gouvernement de Goodluck Jonathan est jugé coupable.

 

Les chiffres alors évoqués sont hallucinants. Le montant du dédommagement pourrait, dit-on, atteindre les 6 milliards de dollars. Le procès se poursuit, mais la possibilité est toujours offerte aux deux parties de s’engager dans une résolution à l’amiable du différend. 

 

2015-2017

La sentence tombe une première fois !

En juillet 2015, la culpabilité du régime précédent a été confirmée dans ce dossier et, un an et demi plus tard, en janvier 2017, le Nigeria est condamné à verser 6,597 milliards de dollars à P&ID. Un montant majoré d'intérêts anticipés au taux de 7% par an, à compter du 20 mars 2013, et d'intérêts post-attribution, au même taux à la date du paiement. C’est ce qu’aurait gagné P&ID, soustraction faite des dépenses en immobilisations et de fonctionnement qu'il aurait engagées dans le cadre de la construction et de l'exploitation des installations.

Insatisfait de cette décision, le nouveau régime, l’administration Buhari, refuse de payer cette somme et tente, dans un premier temps de faire annuler la sentence, arguant du fait qu'il n'était pas soumis à l'arbitrage international, mais les tribunaux britanniques rejettent cet argument. 

 

2018

Dos au mur, le Nigeria engage des pourparlers avec P&ID

Début 2018, le gouvernement est pressé de toutes parts pour régler la facture de la sentence du tribunal de Londres. Les responsables et les avocats de la société publique nigériane du pétrole engagent alors des négociations avec P&ID et réussissent à obtenir de la société qu'elle accepte un paiement qui ne représente qu'une infime fraction de cette somme, soit 200 millions de dollars.

Les responsables et les avocats de la société publique nigériane du pétrole engagent alors des négociations avec P&ID et réussissent à obtenir de la société qu'elle accepte un paiement qui ne représente qu'une infime fraction de cette somme, soit 200 millions de dollars.

En plus de cela, Abuja était prêt à verser quelques compléments, dont l’équivalent du coût du terrain et, surtout, la remise en route du projet. Mais au moment d’approuver cet accord, le ministère de la Justice nigériane rejette tout. P&ID n'a plus d'autres choix que de chercher à faire exécuter la sentence.

 

2019

Le coup de grâce

Le gouvernement reste campé sur sa position. Il ne déboursera rien en faveur de P&ID. C’est ce qu’a déclaré à la presse locale, une source gouvernementale lorsque P&ID a demandé au tribunal le droit de saisir des actifs équivalant aux 6,6 milliards et aux intérêts générés depuis 2013. « Le gouvernement est pleinement conscient du danger, mais reste optimiste pour une résolution à l’amiable du problème devant les tribunaux », avait déclaré la source.

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Ibe Kachikwu, l'ex puissant ministre du pétrole porte une lourde responsabilité dans cette affaire.

 

Mais le 16 août, la décision tombe et condamne désormais le Nigeria à dédommager P&ID, à hauteur de 9,6 milliards de dollars. « Un jugement converti en sentence légale donnant à P&ID la possibilité d'opérer une saisie des biens du Nigeria », ajoute le tribunal.

Mais le 16 août, la décision tombe et condamne désormais le Nigeria à dédommager P&ID, à hauteur de 9,6 milliards de dollars. « Un jugement converti en sentence légale donnant à P&ID la possibilité d'opérer une saisie des biens du Nigeria », ajoute le tribunal. 

Cette somme correspond à peu près à 2,5% du produit intérieur brut (PIB) annuel du Nigeria et plus de 20% de ses actifs internationaux. Dans un communiqué qui suit la publication de la décision de justice, P&ID s’engage à faire respecter vigoureusement ses droits et « entamer le processus de saisie des actifs nigérians, le plus rapidement possible ».

Si le gouvernement nigérian n’a toujours pas commenté cette actualité, certains analystes pensent que l’affaire serait la principale raison du limogeage du ministre nigérian du Pétrole, Ibe Kachikwu.

 

Olivier de Souza

olivierdesouza

Ndeye Khady Gueye

 

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