La désescalade de l’économie zambienne, depuis que le pays est dirigé par Edgar Lungu

(Ecofin Hebdo) - En l’espace de quatre années, quatre personnalités se sont succédées à la tête du ministère des Finances de la république zambienne. Cette situation inhabituelle, dans ce pays dirigé depuis 2015 par Edgar Lungu, fait écho aux difficultés que traverse l’économie d’Afrique australe depuis quelques années. Entre dette cachée, sécheresse et tensions dans l’industrie minière, de gros nuages noirs s’amoncellent au-dessus de la Zambie…

 

Un secteur agricole en danger

En Zambie, l’agriculture, qui compte pour environ 20% du produit intérieur brut (PIB), d’après les chiffres du Fonds international pour le développement agricole, occupe une place centrale dans l’économie. Elle emploie plus de 50% de la main-d’œuvre du pays et est largement dominée par la culture du maïs qui, en plus de permettre au pays d’être autosuffisant, représente un de ses principaux produits d’exportation. Malheureusement, ce secteur sensible de l’économie zambienne est touché depuis quelques années par une crise de sécheresse qui a affecté les rendements agricoles du pays. D’après les experts, il s’agit de la pire sécheresse enregistrée par le pays depuis 1981.

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15% de la population menacée d’insécurité alimentaire.

 

Depuis 2016, cette sécheresse amplifiée par le phénomène climatique El Niño a alimenté les inquiétudes quant à la survenue d’une crise alimentaire dans le pays d’Afrique australe. Selon un rapport publié en juillet dernier par la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), 2,3 millions de Zambiens feront face à l’insécurité alimentaire, d’ici mars 2020, si la situation ne s’améliore pas. Ce chiffre représente un peu moins de 15% de la population totale du pays.

En mai 2018, le gouvernement annonçait que la production nationale de maïs pour la saison 2017-2018 connaîtrait une chute de 34% à 2,9 millions de tonnes, contre 3,61 millions de tonnes, lors de la précédente saison.

Si le gouvernement continue d'affirmer que la situation est sous contrôle, les impacts de cette sécheresse commencent à se faire sentir. En mai 2018, le gouvernement annonçait que la production nationale de maïs pour la saison 2017-2018 connaîtrait une chute de 34% à 2,9 millions de tonnes, contre 3,61 millions de tonnes, lors de la précédente saison. D’après le rapport de la SADC, le pays a actuellement un déficit céréalier de 880 000 tonnes.

Cette situation a poussé le gouvernement à suspendre ses exportations agricoles, privant ainsi le pays de plusieurs millions de dollars de devises étrangères. Dans le même temps, le prix du maïs, principal aliment de base en Zambie, a atteint son plus haut niveau depuis 2003, selon l’Agence nationale zambienne des statistiques. En juillet dernier, les prix étaient supérieurs de 41 % aux niveaux enregistrés à la même période en 2018, portés par un taux d’inflation de 8,8 %. Une situation contraignante pour une population dont le taux de pauvreté oscille autour des 60%, alors même que la monnaie nationale, le kwacha, ne cesse de se déprécier face au dollar.

                  

Une dette à haut risque

Dans cet environnement économique tendu, marqué par la menace de plus en plus pesante d’une crise alimentaire, le pays doit également faire face à de nouvelles contraintes, relatives cette fois-ci à ses finances publiques. Avec un produit intérieur brut (PIB) estimé à 25,8 milliards $ en 2017, la Zambie a enregistré ces dernières années une hausse de sa dette.

Sur les dernières années, le pays a en effet massivement emprunté des capitaux sur les marchés pour financer ses projets d’infrastructures. Cette dynamique a quintuplé sa dette extérieure qui est passée de 2 milliards $ en 2011 (d’après des chiffres relayés par le Chr Michelsen Institute) à plus de 10 milliards $, à la fin de l’année 2018.

Cette dynamique a quintuplé sa dette extérieure qui est passée de 2 milliards $ en 2011 à plus de 10 milliards $, à la fin de l’année 2018.

Toutefois, cette dette alimentée par les prêts du gouvernement chinois, et l’émission d’eurobonds (3 milliards $ émis entre 2012 et 2015) a fait l’objet, ces derniers mois, de nombreuses controverses. Plusieurs analystes accusent en effet Lusaka de cacher le vrai montant de sa dette qui serait en réalité, beaucoup plus élevée. « Le problème des prêts cachés, à notre avis, est probablement celui de la dette extérieure à court terme, qui est au moins aussi importante que les prêts et les obligations extérieures connus combinés », soulignait à cet effet Peter Attard Montalto, responsable de la division Europe, Moyen-Orient et Afrique à Nomura International.

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Un risque élevé de surendettement qui s’accompagne de mesures drastiques.

 

D’après le FMI, « la somme de la dette publique et de la dette garantie par l'Etat, y compris les arriérés sur les emprunts intérieurs, à la fin de 2018, était de 73,1 % du PIB », ce qui met le pays en situation de risque élevé de surendettement.

Cette situation a poussé Lusaka à annoncer des mesures drastiques pour se sortir du problème. Des mesures d’austérité, telles que la réduction des dépenses de l’Etat ou encore la suspension des emprunts et de nombreux projets, ont été accompagnés de mesures d’annulation de dettes de la part de la Chine, l’un des principaux créanciers du pays.

Si ces premières décisions ont été assez bien accueillies, celles concernant le secteur minier, principale source de devises, ont  soulevé de vives tensions dans la nation d’Afrique australe.

 

Un bras de fer avec l’industrie minière

Le secteur minier, dont les productions fournissent au pays près de 80% de ses recettes d’exportations, est probablement celui qui subit le plus les affres de l’insoutenable dette zambienne. Le pays, second producteur africain de cuivre, derrière la République démocratique du Congo (RDC) accueille sur son sol de grandes compagnies minières comme Glencore, First Quantum ou encore Vedanta Resources.

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Une économie très dépendante des grandes compagnies minières.

 

En effet, dès les premiers signes de fragilisation affichés par les finances publiques zambiennes, l’Etat a décidé de mettre ces multinationales à contribution pour renflouer ses caisses. Dès septembre 2018, l’ex-ministre des Finances, Margaret Mwanakatwe, avait annoncé que son gouvernement introduirait de nouveaux droits miniers et augmenterait les redevances. L’ancienne responsable avait également indiqué que le gouvernement prévoyait d’augmenter de 1,5 point de pourcentage l’échelle variable des redevances de 4 % à 9 %, et d’introduire une nouvelle taxe de 10% quand le prix du cuivre dépasserait les 7500 $ la tonne. Cette échelle est ajustée de manière que les redevances versées à l’Etat soient plus élevées à mesure que les prix des produits de base grimpent, et réduites, si ceux-ci baissent. Une mesure qui devait être suivie d’un nouveau droit à l'exportation de 15 % sur les métaux précieux, y compris l'or et les pierres précieuses et d’une taxe sur la vente, en remplacement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

Pour le gouvernement, l’objectif est tout simple. Taxer les grandes entreprises qui exploitent les gigantesques ressources du sous-sol du pays permettra d’augmenter ses recettes qui permettront, à leur tour, de rembourser la dette et de réduire le déficit budgétaire à 6,5% du produit intérieur brut (PIB) en 2019 contre 7,4% en 2018.

« Nous devons enregistrer un flux amélioré et régulier de revenus miniers, proportionnel à l’envergure des extractions », s’était alors justifiée Margaret Mwanakatwe devant le parlement.

Hélas, la pilule n'est pas passée et les grandes multinationales n’ont pas manqué de signifier leur mécontentement à l’exécutif.

Pour la chambre zambienne des mines, les plans du gouvernement pourraient ruiner l’économie, car plusieurs mines deviendraient non rentables, ce qui entrainerait la baisse de la production globale de cuivre. Autre impact de cette mesure, l’association qui représente l’industrie minière indique que les augmentations de taxes minières pourraient entrainer la perte de plus de 21 000 emplois et la réduction de 500 millions de dollars des dépenses d'investissement au cours des trois prochaines années. 

L’association qui représente l’industrie minière indique que les augmentations de taxes minières pourraient entrainer la perte de plus de 21 000 emplois et la réduction de 500 millions de dollars des dépenses d'investissement au cours des trois prochaines années. 

« Nos membres continuent d'examiner leurs opérations et envisagent de restreindre considérablement leurs activités tout en réduisant également les dépenses en capitaux de plus d'un demi-milliard de dollars, au cours des trois prochaines années. Il en résulterait 7000 suppressions d’emplois directs et plus du double pour les emplois indirects », avait déclaré l’institution.

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« Ils réduisent les effectifs des travailleurs locaux, nous renvoyons aussi une partie des travailleurs étrangers. »

 

Pour le gouvernement zambien, cet argument n’est rien d’autre qu’une menace à peine voilée de l’industrie minière pour « tordre le bras » aux réformes fiscales proposées pour le secteur. Si les autorités craignent en effet de voir grimper le taux de chômage du pays qui s’est progressivement réduit au fil des ans pour atteindre environ 7,21% de la population active, il n’est pas question de se laisser mener par le bout du nez. Ainsi, fin 2018, le ministre de l’Intérieur Stephen Kampyongo annonce l’intention du gouvernement d'annuler les permis de travail de certains travailleurs étrangers dans les mines.

« Ils réduisent les effectifs des travailleurs locaux, nous renvoyons aussi une partie des travailleurs étrangers. Et nous décidons qui renvoyer », s’était-il justifié devant les journalistes. Avant d’ajouter : « Ce qui nous déplaît, c'est ce genre d'approche contraignante, où on pense que dès qu'on menace de réduire les effectifs des travailleurs, on sait ce qui se passera : que les gens commenceront à s'élever contre le gouvernement. Nous n’allons pas accepter cela ».

« On pense que dès qu'on menace de réduire les effectifs des travailleurs, on sait ce qui se passera : que les gens commenceront à s'élever contre le gouvernement. Nous n’allons pas accepter cela ».

Ainsi, pendant plusieurs mois, le secteur minier a fait l’objet d’un intense bras de fer entre un gouvernement acculé par la dette, les déficits budgétaires, les pressions des bailleurs de fonds internationaux et des entreprises, prêtes à suspendre leurs opérations pour sauvegarder leurs revenus. Fin septembre, le gouvernement finit par annoncer l’abandon de son projet de taxe sur la vente, quelques mois après le limogeage de la ministre Mwanakatwe. Un retour en arrière perçu comme une première victoire pour l’industrie minière dans son bras de fer avec l’exécutif.

 

Des perspectives de plus en plus sombres

Pendant ce temps, le gouvernement semble être à court de solutions pour régler sa crise. Le déficit budgétaire se creuse, et aux problèmes de dette et de sécheresse, s’ajoute une nouvelle crise énergétique. La Zambie a actuellement un déficit d'électricité d'environ 750 mégawatts (MW) et rationne l'approvisionnement en électricité, en raison de la diminution de la production nationale, après la baisse des niveaux d'eau dans les barrages hydroélectriques du pays.

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Le faible niveau d’eau des barrages induit un grave déficit d’énergie.

 

Si le gouvernement a annoncé être en pourparlers avec l’Afrique du Sud pour pouvoir importer 300 MW d’électricité, on s’attend à une hausse de son coût pour les populations et les entreprises, dans un pays qui a longtemps pratiqué un tarif électrique en dessous du coût de production, grâce à un mécanisme de subvention.

Le pays qui, pendant la décennie 2004-2014, enregistrait une croissance annuelle de 7,4% a été obligé de réduire de moitié ses perspectives de croissance, passant de 4% à 2% pour l’année 2019.

Le pays qui, pendant la décennie 2004-2014, enregistrait une croissance annuelle de 7,4% a été obligé de réduire de moitié ses perspectives de croissance, passant de 4% à 2% pour l’année 2019.

Pour éviter d’alourdir le fardeau de sa dette, Lusaka a d’ailleurs dû retarder une aide de 2,6 milliards $ qu’il avait obtenue du Fonds monétaire international (FMI), l’année dernière. Au premier semestre 2019, la production de cuivre zambienne a baissé de 4 % en glissement annuel à 393 419 tonnes, et pour la Chambre des mines, la production annuelle pourrait être inférieure de 100 000 tonnes à celle de l’année passée, en raison des changements apportés en début d’année aux taxes minières.

Avec des réserves de change qui fondent (1,57 milliard $ à fin septembre 2018, soit le plus bas niveau en 10 ans), contribuant à une érosion du kwacha, et à moins de trouver une solution durable aux tensions avec l’industrie minière, le pays pourrait être confronté à un dilemme cornélien au cours des prochaines années en cas de persistance de la crise : importer des denrées alimentaires ou rembourser sa dette.

 

Moutiou  Adjibi Nourou

Moutiou Adjibi

Ndeye Khady Gueye

 

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