Pour l'Inde, se rapprocher de l'Afrique devient une affaire d'Etat

(Ecofin Hebdo) - Fonds de développement, financements concessionnels conséquents, méga-projet de connexions maritimes, ouverture de 18 nouvelles ambassades, proposition d’un accord de libre-échange … Après s’être longtemps appuyée sur son secteur privé dynamique et sa diaspora entreprenante, l’Inde fait désormais de son engagement en Afrique une affaire d’Etat, tout en veillant à afficher un visage plus avenant que celui de son rival chinois.

En Afrique, l'éléphant indien ne court pas encore aussi vite que le dragon chinois, mais il n’en est pas moins déterminé à franchir en bonne place la ligne d’arrivée. Longtemps accaparé par des priorités internes, l’Etat indien monte désormais au créneau pour chanter une ode captivante à l’Afrique, en alternative aux sérénades ensorcelantes des sirènes chinoises. L’immense pays de Ghandi met plus que jamais sa machine diplomatique et sa force de frappe financière en branle pour se faire une place sous le soleil africain.

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Une culture commune d’ancien colonisé et de non-aligné.

Bien qu’elle n’accorde pas encore aux pays africains des sommes mirobolantes, semblables à celles décaissées par sa rivale chinoise, la Banque indienne d’import export (Exim Bank of India) ne se limite plus à financer des projets d’infrastructures dans les pré-carrés de l’Inde, au sud et à l’Est du continent (Zimbabwe, Afrique du Sud, Tanzanie, Kenya, Ouganda, etc). La banque d’Etat a ouvert des bureaux à Abidjan et à Dakar, qui s’ajoutent à ses antennes à Johannesburg et Addis Abeba. Sur les deux dernières années seulement, elle a engagé plus de 3 milliards de dollars dans une quinzaine de pays africains, dont la Côte d’Ivoire, le Cameroun, la Mauritanie, le Sénégal et la RD Congo. Fin mars dernier, l’établissement a accordé une facilité de crédit de 500 millions de dollars à la Banque d'investissement et de développement de la CEDEAO (BIDC). Ces fonds permettront à la banque présidée par le Nigérian Bashir Mamman Ifo d’accorder des prêts à des projets de développement dans la sous-région.

L’immense pays de Ghandi met plus que jamais sa machine diplomatique et sa force de frappe financière en branle pour se faire une place sous le soleil africain.

Dans le sillage du 1er sommet de l’Alliance solaire internationale (ASI), le gouvernement indien a d’autre part annoncé l’octroi d’une aide d’un milliard de dollars à 13 pays africains, dont le Bénin, le Burkina Faso, le Mali et le Togo pour financer 23 projets dans le domaine de d’énergie solaire. Dans le cadre de ces projets, les panneaux solaires seront fournis par des entreprises indiennes à des prix plus bas que ceux pratiqués par les industriels chinois.

Imaginée par l’Inde et la France, lors de la COP21, l’ASI est destinée diminuer le coût de l’énergie solaire dans les pays situés entre les tropiques du Cancer et du Capricorne (300 jours d’ensoleillement par an en moyenne), mais qui ne disposent pas des financements et de l’expertise nécessaires pour exploiter au maximum la manne céleste.

 

Un Fonds de développement Inde-Afrique en gestation

La plus grande démocratie au monde, qui avait déjà promis, lors du 3è sommet Inde-Afrique tenu fin 2015 à New Delhi, d’accorder aux pays africains des prêts concessionnels d’un montant global de 10 milliards de dollars, ainsi qu’une aide de 600 millions de dollars sur cinq ans, planche aussi sur le lancement d’un nouveau fonds de développement Inde-Afrique (India-Africa Development Fund), qui devrait constituer un nouveau bras financier du pays de 1,3 milliard d’habitants, sur le continent.

Jouant sur une culture commune d’ancien colonisé et de non-aligné, le gouvernement indien a par ailleurs décidé de doper son soft power en Afrique en approuvant l'ouverture de dix-huit nouvelles ambassades sur le continent d’ici 2021.Ces ambassades seront installées au Burkina Faso, Cameroun, Cap-Vert, Tchad, République du Congo, Djibouti, Guinée équatoriale, Érythrée, Guinée, Guinée Bissau, Libéria, Mauritanie, Rwanda, Sao Tomé & Principe, Sierra Leone, Somalie, Swaziland et Togo.

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Narendra Modi, Premier Ministre de l’Inde.

«L’ouverture de nouvelles ambassades permettra de renforcer la coopération économique entre l’Inde et l’Afrique et de consolider les liens avec la diaspora indienne établie dans les pays africains», a souligné le gouvernement indien dans un communiqué, rappelant que le deuxième pays le plus peuplé au monde compte déjà 29 ambassades en Afrique.

New Delhi a également formé le vœu de signer un accord de libre échange avec l’Afrique pour booster les échanges commerciaux bilatéraux, qui plafonnent depuis quelques années. «L’Inde et l’Afrique gagneraient à négocier un accord de libre-échange pour renforcer les échanges commerciaux bilatéraux qui demeurent en deçà de leur potentiel», a déclaré le ministre indien du Commerce et de l'Industrie, Suresh Prabhu, lors du XIIIe conclave de l’Exim Bank of India sur le Partenariat Inde-Afrique, estimant qu’un tel accord «sera bénéfique aux pays signataires de l’accord portant création de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA)».

«L’Inde et l’Afrique gagneraient à négocier un accord de libre-échange pour renforcer les échanges commerciaux bilatéraux qui demeurent en deçà de leur potentiel»

Le ministre a également exhorté plusieurs pays africains à utiliser le régime préférentiel indien de franchise de droits pour les pays les moins avancés (DFTP), qui est en mesure, selon lui, faire passer les échanges commerciaux entre l’Inde et l’Afrique de 53 milliards de dollars en 2017 à 150 milliards d’ici cinq ans.

 

L’AAGC, une alternative à la «Route de la soie» chinoise

Fidèle à sa politique de deux fers au feu, le sous-continent s’est allié au Japon pour lancer une initiative commune baptisée Asia-Africa Growth Corridor (AAGC), la Route de la croissance Asie-Afrique.

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Une alliance avec le Japon pour conquérir l’Afrique.

L’AAGC repose sur quatre piliers: la construction d’infrastructures maritimes et logistiques pour favoriser le commerce entre les deux continents; le renforcement des compétences; les partenariats de «personne à personne»; et, enfin, des projets de coopération dans divers domaines comme la santé, l’agriculture, l’industrie et de la gestion des catastrophes naturelles. Surnommée «la Route de la liberté», cette initiative est considérée comme une alternative au projet chinois de la Route de la soie (One Belt One Road), qui prévoit la construction de routes, ports, lignes de chemin de fer et parcs industriels dans 65 pays pour près de 1000 milliards de dollars. La riposte indo-nippone au projet pharaonique de l’empire du milieu a été annoncée le 25 mai 2017 à l’occasion d’une réunion de la Banque africaine de développement (BAD) qui se tenait pour la première fois à Ahmedabad, en Inde, soit une dizaine de jours seulement après le 1er sommet international sur la Route de la Soie organisé à Pékin.

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«Contrairement à l'initiative chinoise One Belt, One Road, l'AAGC est un modèle de coopération équitable, transparent et mutuellement bénéfique en termes de croissance et de connectivité. En outre, ce projet ne viole la souveraineté d'aucun pays», a souligné Mayank Chaubay, directeur du Foreign Service Institute, l’institut indien de formation des diplomates rattaché au ministère indien des Affaires étrangères.

Selon lui, le projet doit permettre à l’Inde de mettre à profit sa présence sur le continent africain, et au Japon de démontrer son expertise en matière de construction d’infrastructures.

En Afrique, l’Inde n’est pas, en effet, en terra incognita. Les relations indo-africaines remontent à plus de deux millénaires, lorsque des voiliers traversaient la mer d’Arabie pour approvisionner en épices le royaume d’Aksoum, qui était jadis un État prospère de la Corne de l'Afrique localisé au nord de l'Éthiopie, de Djibouti et dans l'actuelle Érythrée.

Durant la période coloniale, des centaines de milliers de travailleurs indiens sous-contrats individuels (indenture labour) se sont installés dans des pays d’Afrique de l’Est et d’Afrique australe, formant le noyau de l’actuelle diaspora indienne en Afrique qui compte plus de 2,5 millions de personnes.

 

L’engagement porté par les entreprises privées plafonne

En dépit de cette histoire commune deux fois millénaire, le premier sommet Inde-Afrique ne s'est tenu qu’en 2008. Les entreprises indiennes n’ont pas cependant attendu ce sommet pour pousser leurs pions sur le continent. Le conglomérat Tata est présent en Afrique depuis les années 60 dans des secteurs aussi diversifiés que la sidérurgie, les télécommunications et l’hôtellerie. Les groupes Mahindra (équipements agricoles), Arcelor Mittal (sidérurgie) Ranbaxy (médicaments génériques) et Bharti Airtel (télécoms) sont aussi présents dans plusieurs pays du continent depuis de longues années.

La particularité de tous ces investissements est qu’ils sont exclusivement portés par des entreprises privées. Mais New Delhi semble avoir pris conscience des limites de cette approche. Les échanges commerciaux entre l’Inde et l’Afrique peinent à dépasser la barre des 70 milliards de dollars, qu’ils ont atteints en 2014, avant de chuter à une cinquantaine de milliards par an, tandis que le commerce sino-africain a culminé à 180 milliards de dollars en 2016.

Un seul pays, l’Ile Maurice, a raflé 90% des flux d’investissements directs indiens sur le continent durant la période sous revue, soit 47,6 milliards de dollars !

Les flux d’investissements directs indiens vers l’Afrique ont totalisé 52,6 milliards de dollars entre 2008 et 2016, selon le think tank indien Observer Research Foundation. Mais ce chiffre masque des vérités moins bonnes à dire. Un seul pays, l’Ile Maurice, a raflé 90% des flux d’investissements directs indiens sur le continent durant la période sous revue, soit 47,6 milliards de dollars !

Observer Research Foundation a également souligné qu’une part importante des flux des IDE indiens vers l’Ile Maurice, qui a été présentée par le think tank comme étant un «paradis fiscal», est retournée en Inde, ce qui signifie que le volume réel des investissements indiens en Afrique est beaucoup moins important que ce que rapportent les médias.

D’autre part, seule une poignée de pays africains a bénéficié des 5 milliards de dollars investis entre 2008 et 2016 par l’Inde sur le continent, hors Maurice. Le Mozambique s’est accaparé 52% de ce montant (2,66 milliards de dollars). L’Egypte occupe la deuxième position avec 12%, devant l’Afrique du Sud (8,8%), la Tunisie (3,8%) et le Kenya (3,1%).
Plus conquérante, la Chine a investi 150,4 milliards de dollars en Afrique subsaharienne entre janvier 2006 et juillet 2014, selon une étude réalisée par le think tank American Enterprise Institute et la Heritage Foundation.

 

Au-delà de l’économie, des intérêts politiques entrent en jeu

Soucieux d'apparaître comme un ami plus qu'un prédateur, le sous-continent propose à l’Afrique un partenariat fondé sur «l’égalité» et le «transfert des connaissances et des technologies». Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. S’il est vrai que certains contrats conclus entre des firmes indiennes et des pays africains comprennent des clauses prévoyant la formation et le transfert des technologies, il n’en demeure pas moins que les beaux discours aux accents fraternels que tiennent les dirigeants indiens sur la coopération sud-sud cachent une volonté de sécuriser l’approvisionnement de leur pays en matières premières.

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La diaspora indienne en Afrique compte 2,5 millions de personnes.

Selon les prévisions publiées par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la croissance de l’économie indienne est attendue à 7,2% cette année et à 7,5% en 2019, une performance supérieure à celle de la Chine (6,7 % en 2018 et 6,4% en 2019). Ce moteur qui s’emballe a bien évidement besoin d’être alimenté pour ne pas caler. Or, New Delhi dépend à hauteur de 75% de l’étranger pour ses approvisionnements en hydrocarbures.

Si l’accès à de nouvelles sources d’approvisionnements en pétrole au-delà du Proche-Orient reste une préoccupation majeure, des considérations politiques expliquent aussi le tropisme africain de New Delhi. L’Inde, qui a connu une période marquée par les humiliations du colonialisme, après des siècles de gloire, cherche à prendre une revanche sur l’histoire, en retrouvant une place de premier plan sur la scène internationale. Elle ambitionne notamment d’obtenir un siège permanent au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, de faire son entrée dans le G7 et de jouer un rôle plus important dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dans le cadre d’une réforme du système de gouvernance mondiale, pour l’heure non représentatif des nouveaux équilibres mondiaux.

D’ici fin 2018, l’Inde devrait supplanter la France et la Grande-Bretagne pour occuper le rang de 5e puissance économique mondiale.

D’ici fin 2018, l’Inde devrait supplanter la France et la Grande-Bretagne pour occuper le rang de 5e puissance économique mondiale, selon l’institut de recherche britannique CEBR (Centre for Economics and Business Research). Dans cette optique, des relations plus étroites avec les 54 Etats africains pourraient aider le pays à peser davantage lors des réunions internationales. Et c’est sans doute pour cette raison que le président indien, Ram Nath Kovind, a effectué deux tournées en Afrique depuis sa prise de fonction fin juillet 2017: Ethiopie et Djibouti en octobre 2017; et Maurice et Madagascar en mars dernier. Une troisième tournée, qui devrait le conduire au Swaziland et en Guinée Equatoriale, est prévue en ce mois d’avril.

Walid Kéfi

 

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