La Banque mondiale prêche pour les énergies renouvelables, mais finance plutôt les énergies fossiles (Rapport)

(Ecofin Hebdo) - Depuis le début des années 2010, la Banque mondiale a intensifié le financement des énergies propres, une politique centrale de son engagement en faveur de l’action climatique. Elle a aussi promis d’assainir son portefeuille, en réduisant progressivement ses investissements dans les énergies fossiles. Si depuis, ses investissements dans les énergies renouvelables ont connu de gros progrès, les subventions accordées au pétrole, au gaz et au charbon n’ont, cependant, jamais cessé de croître.

Entre 2014 et 2018, la Banque mondiale a consacré au moins 21 milliards de dollars aux énergies fossiles, rapporte une étude de l’ONG allemande Urgewald, publiée en début d’année.

Entre 2014 et 2018, la Banque mondiale a consacré au moins 21 milliards de dollars aux énergies fossiles, rapporte une étude de l’ONG allemande Urgewald.

La recherche qui s’est appuyée sur 675 investissements montre que, parallèlement, entre 7 et 15 milliards de dollars ont été injectés dans les énergies propres, incluant des projets hydroélectriques à grande échelle et d'autres projets, dont les avantages environnementaux sont plus ou moins contestés.

Entre 7 et 15 milliards de dollars ont été injectés dans les énergies propres, incluant des projets hydroélectriques à grande échelle.

Bien que le financement des énergies propres ait connu une excellente percée pendant cette période, il n’a toujours pas rattrapé son retard vis-à-vis des énergies fossiles et les besoins sont toujours aussi importants pour ce qui est de se conformer aux conclusions de l’Accord de Paris. « C'est une grande déception de constater que le Groupe de la Banque mondiale continue à fournir des financements publics aussi importants pour les combustibles fossiles. Elle sape ainsi ses propres efforts pour les énergies renouvelables et les objectifs climatiques de Paris », a déclaré Heike Mainhardt, co-autrice de l’étude.

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« C'est une grande déception de constater que le Groupe de la Banque mondiale continue à fournir des financements publics aussi importants pour les combustibles fossiles.»

 

Face au tollé soulevé par l’étude, un des porte-parole de la Banque a rétorqué que le rapport d’Urgewald brosse un tableau déformé de la réalité et ne reflète pas les changements substantiels qui se sont produits dans le financement de l'énergie par la Banque, au cours de la dernière décennie. L’institution a, entre autres, brandi l’approbation, au cours du dernier exercice financier de la Banque, d’un montant de 20,5 milliards de dollars pour appuyer l'action climatique, à partir de 2020. Par ailleurs, 28 % de ses investissements seront alloués à des projets liés au climat, à partir de 2020. Un geste fort, d’ailleurs salué par l’ensemble des associations de défense de la nature, pour qui l’institution de Bretton Woods peut encore mieux faire.

28 % de ses investissements seront alloués à des projets liés au climat, à partir de 2020. Un geste fort, d’ailleurs salué par l’ensemble des associations de défense de la nature. 

Cette bonne note n’a pas empêché les écologistes de s’offusquer de la « mauvaise foi » de la Banque, notamment dans le dossier du charbon. En effet, en Europe et aux Etats-Unis, la Banque investit de moins en moins dans le combustible, grâce à une puissante veille et aux pressions des organisations environnementales.

 

« La pire forme d’hypocrisie »

Après sa décision historique de mettre fin aux prêts directs aux projets de centrales thermiques alimentées au charbon, sa promesse de supprimer l'aide à l'exploration pétro-gazière et d'augmenter son budget d'énergies propres, la Banque mondiale s’est vu décerner  des certificats verts.

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« Elle sape ainsi ses propres efforts pour les objectifs climatiques de Paris »

 

Début 2016, le président de la Banque d’alors, Jim Yong Kim, avait assuré que de moins en moins d’investissements seraient dirigés vers le financement du charbon. Un porte-parole de la banque avait rajouté qu'elle n'avait pas financé de nouveaux projets de charbon au cours des cinq dernières années et rassuré une fois de plus qu’elle n’allait plus y investir. « Nous travaillons avec les pays pour rendre les énergies renouvelables moins chères que le charbon et pour faire avancer les efforts visant à atténuer les effets du changement climatique », avait fait savoir le dirigeant. Pour rappel, cette intervention de Jim Yong Kim faisait suite à une révélation de lanceurs d’alerte, selon laquelle la Banque basée à Washington venait de libérer en secret un financement de 2 milliards de dollars pour des projets polluants.

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De nombreux « soutiens clandestins » au charbon.

 

Dans son rapport, Urgewald a identifié et révélé de nombreux « soutiens clandestins » au charbon. Entre autres, en mars 2016, l'Agence multilatérale de garantie des investissements (MIGA), une filiale de la Banque, a cautionné un prêt de 783 millions de dollars à l’allemande Deutsche Bank et à la banque japonaise Mizuho pour accompagner les projets de charbon du groupe énergétique sud-africain Eskom. Il s’agit en effet d’un programme d’extension des capacités de production du charbon, auquel s’ajoute le financement de lignes de transport d'électricité, à partir de nouvelles centrales à charbon.

En mars 2016, MIGA, une filiale de la Banque, a cautionné un prêt de 783 millions de dollars à l’allemande Deutsche Bank et à la banque japonaise Mizuho pour accompagner les projets de charbon du groupe énergétique sud-africain Eskom.

Alors que la consommation de charbon en Europe et aux Etats-Unis est en baisse constante, les pays d'Afrique et d'Asie comptent parmi ceux qui prévoient de construire environ 1500 nouvelles centrales électriques, avec une forte proportion pour le charbon et les autres énergies polluantes. Et force est de constater que les capitaux de la Banque mondiale sont prévus pour soutenir la réalisation de ces projets, souligne l’étude.

Alors que la consommation de charbon en Europe et aux Etats-Unis est en baisse constante, les pays d'Afrique et d'Asie comptent parmi ceux qui prévoient de construire environ 1500 nouvelles centrales électriques, avec une forte proportion pour le charbon et les autres énergies polluantes. 

Il faut savoir que la Banque asiatique de développement (BAD), par exemple, a interdit à ses filiales, depuis quelques années, de financer des projets d'exploration de combustibles fossiles. Pour Alex Doukas, de l'ONG Oil Change International, il n’y a aucune raison pour que la Banque mondiale n'adopte pas une politique similaire comme première étape vers l'élimination progressive de tout financement à destination des projets d’énergies fossiles.

La Banque asiatique de développement (BAD), par exemple, a interdit à ses filiales, depuis quelques années, de financer des projets d'exploration de combustibles fossiles. 

Pour Shelagh Whitley, qui dirige la section Climat et Energie à l’Institut de développement d’Outremer, il s’agit de « la pire forme d’hypocrisie », pour une organisation qui se veut un acteur clé dans la lutte contre les changements climatiques.

 

La sortie des énergies fossiles, sauf le gaz

Le 12 décembre 2017, lors du Sommet One Planet qui a eu lieu en France, la Banque mondiale a annoncé qu’elle s’engage à ne plus apporter d’appuis financiers à l’amont pétro-gazier, à partir de 2019. Une décision qui vise à aider les pays à respecter les engagements qu'ils avaient pris à Paris en 2015, pour limiter le réchauffement de la planète et stimuler le passage de l'économie mondiale à une énergie propre.

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Une organisation qui se veut un acteur clé dans la lutte contre les changements climatiques.

 

En plus de l’arrêt du financement des projets pétroliers et gaziers, la Banque mondiale s’est engagée à publier les quantités d’émission de gaz à effet de serre produit par les projets qu’elle finance. La prise en compte d’un prix interne du carbone devrait également devenir systématique pour prioriser les décisions d’investissement. « Le Groupe de la Banque mondiale ne financera plus le pétrole et le gaz en amont après 2019 », explique un communiqué officiel.

« Dans des circonstances exceptionnelles, il sera envisagé de financer le gaz en amont dans les pays les plus pauvres où l'accès à l'énergie pour les populations défavorisées est clairement bénéfique.»

Cependant, l’institution a fait cas de quelques exceptions. « Dans des circonstances exceptionnelles, il sera envisagé de financer le gaz en amont dans les pays les plus pauvres où l'accès à l'énergie pour les populations défavorisées est clairement bénéfique et où le projet s'inscrit dans les engagements de l'Accord de Paris.»

Au-delà de ces engagements et exceptions envisagés, les scientifiques, eux, restent formels. Pour éviter un réchauffement climatique de plus de 2°C, qui aurait des conséquences désastreuses, 80% des réserves d’énergie fossile actuellement connues doivent rester dans le sol.

 

Olivier de Souza

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Ndeye Khady Gueye

 

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