La Chine, cette amie qui ne nous veut pas que du bien, selon les Etats-Unis… (1ère partie)

(Ecofin Hebdo) - De la Chine, cette semaine, on aura surtout parlé de la guerre commerciale que lui a déclaré l’administration Trump. Et dans un autre registre, il y a eu ce rapport, évoqué par la chaîne de télévision CNBC, qui informait que, selon le Credit Suisse, Pékin est sur le point de gagner la guerre de l’intelligence artificielle.

L’actualité a éclipsé une intense activité chinoise en Afrique depuis le début du mois de mars 2018, et qui s’est achevée avec l’accueil par Xi Jinping, de son premier chef d’Etat étranger, depuis que le parti communiste a adopté la possibilité, pour un dirigeant chinois, de demeurer président à vie. Hasard du calendrier, ce chef d’Etat était un Africain, et pas n’importe lequel : le président camerounais Paul Biya qui est l’un des plus anciens dirigeants de ce monde, avec près de 35 années de pouvoir. Une longue histoire d’amour, aujourd’hui ouvertement critiquée par les officiels américains. Les amabilités ont été au rendez-vous. Le leader camerounais a salué une coopération avec la Chine qui a déjà fortement bénéficié à son peuple, et a sollicité encore plus d’investissements chinois pour son pays. Il a au passage réaffirmé son attachement à une Chine unique, rassurant son homologue actuellement aux prises avec les autorités indépendantistes de Taïwan.

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Une longue histoire d’amour, aujourd’hui ouvertement critiquée par les officiels américains.

Xi Jinping pour sa part a réaffirmé l’engagement de son pays à soutenir le développement en Afrique, et à aider la région à garantir la paix, la sécurité et la création de richesse. Un engagement qui est promis, quoiqu’il advienne et quelles que soient les circonstances. Bien avant cette visite officielle, la Chine s’est dite disposée à être le partenaire de l’Afrique dans le cadre de la mise en œuvre de sa zone de libre-échange. Et avant cela, le 16 mars, c’est une compagnie chinoise, qui a remporté un contrat de 36,1 millions $ pour la construction du futur nouveau siège de la CEDEAO, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest.

 Rex Tillerson

Rex Tillerson : « Ils ne créent pas assez d'emplois, localement, ne forment pas assez les gens
pour qu'ils participent davantage à l'économie de leur pays dans le futur.»

On en est presque à se demander qu’est-ce qui avait bien pu prendre Rex Tillerson, l’ex-secrétaire d’Etat américain, débarqué par son président Donald Trump, après son retour d’un voyage africain ? En visite à Addis Abeba au siège de l’Union Africaine construit avec l’appui de la coopération chinoise, il a mis en garde l’Afrique…. contre la Chine. « Ils ne créent pas assez d'emplois, localement, ne forment pas assez les gens pour qu'ils participent davantage à l'économie de leur pays dans le futur. Et souvent le modèle de financement est fait d'une telle manière que lorsque le pays a des difficultés financières, il perd le contrôle de ses propres infrastructures, de ses propres ressources », a estimé M. Tillerson, insistant sur le côté prudence.

La réponse a été immédiate. Peut-être parce que le Tchadien Moussa Faki Mahamat, qui préside la commission de l’Union Africaine, tarde encore à digérer la qualification de « Pays de Merde » qu’avait utilisé le président Donald Trump parlant de pays africains, a retoqué sec à l’ancien ministre des affaires étrangères des USA : « Je pense que les Africains sont suffisamment mûrs pour pouvoir s'engager eux-mêmes, de leur propre gré, dans des partenariats qu’ils jugent utiles pour leur continent. Je pense que nous savons parfaitement où se trouvent nos intérêts ».

« Je pense que les Africains sont suffisamment mûrs pour pouvoir s'engager eux-mêmes, de leur propre gré, dans des partenariats qu’ils jugent utiles pour leur continent. »

D’autres prises de positions plus critiques, sont venues s’ajouter à celle du diplomate tchadien et certaines d’entre elles provenaient même des Etats Unis. Dans un rapport présenté devant le Congrès américain, Scott Morris, un des experts du Center for Global Development, a fait savoir que, même si le projet chinois « One Belt One Road » posait des défis en terme d’endettement, il fallait discuter avec les Chinois sur certains de ses aspects, et pas complètement le rejeter.

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« One Belt One Road », le gigantesque projet chinois d’infrastructures mondiales

Au-delà des critiques, des chiffres qui parlent beaucoup

Au-delà de ces critiques pourtant, les chiffres qui marquent les relations entre la Chine et le continent noir restent impressionnants. Selon des données collectées sur le site internet de la China Africa Research Initiative, la valeur du stock des investissements chinois en Afrique a connu une progression annuelle de 33% entre 2003 et 2016. Si on compare le stock de 2,5 milliards $ en 2003 à celui de 34,6 milliards $ en 2015, cela représente une progression de 1291% en l’espace de 12 ans.

Dans son document de synthèse The Africa Investment Report, le Financial Times faisait remarquer, la place importante qu’occupe la Chine dans les investissement directs étrangers dans de nouveaux projets en Afrique. On apprend ainsi que l’Empire du Milieu est le pays qui a créé le plus d’emplois, grâce à ces IDE, soit 39 000. Il est le troisième plus gros investisseur en mombre de projets (62), et le premier en terme de capitaux investis (36 milliards $). Par ailleurs, on a aussi pu relever qu’au-delà des USA, dont les investissements se focalisent sur les ressources minières et pétrolières, la Chine diversifie désormais ses engagements en Afrique dans le secteur notamment des infrastructures (pour lequel le continent connait un gap réel), et des services.

Au-delà des USA, dont les investissements se focalisent sur les ressources minières et pétrolières, la Chine diversifie désormais ses engagements en Afrique dans le secteur notamment des infrastructures et des services.

 

Les chiffres du commerce sont encore plus importants. La Chine entre 1992 et 2016 a acheté pour près de 813,4 milliards $ de biens à l’Afrique. Le pic de ces importations se retrouve sur la période 2012 à 2014, lorsque le pays a importé massivement l’équivalent de 342 milliards $.

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Dans un récent papier sur les relations entre les deux partenaires, le FMI a indiqué que, sur les 12 dernières années, l’impact de la Chine sur la croissance du PIB par Africain a été le plus important, devançant celui des autres partenaires de la région, y compris l’Union Européenne. D’ailleurs, depuis 2012, la Chine, à elle seule, est le deuxième consommateur des produits africains, derrière tout le bloc que constitue l’UE.

Enfin on peut revenir sur l’aide chinoise à travers des prêts, très souvent non concessionnels, et qui n’impose aucune conditionnalité en terme de gouvernance. Lorsque que les partenaires occidentaux ont commencé à durcir les conditions financières accordées aux pays africains, la Chine a pris le relais. Entre 2000 et 2015, des données de la plateforme « Aid China », font ressortir un total de 94,4 milliards $ prêté au continent africain.

Les principaux bénéficiaires, notamment le Kenya (7 milliards $) et l’Ethiopie (13 milliards $), ne sont pas des pays pétroliers, ni vraiment miniers. Et les secteurs ayant le plus bénéficié de ces financements sont les transports (30 milliards $) et l’énergie (22,8 milliards $).

Les principaux bénéficiaires, notamment le Kenya (7 milliards $) et l’Ethiopie (13 milliards $), ne sont pas des pays pétroliers, ni vraiment miniers. Et les secteurs ayant le plus bénéficié de ces financements sont les transports (30 milliards $) et l’énergie (22,8 milliards $). Plus révélateur enfin, en 2015, l’appui de la Chine aux infrastructure a compté pour 21 milliards $, selon une étude produite par McKinsey. Un montant supérieur à celui de la banque Africaine de Développement, la Banque Européenne d’Investissement, le G8 et la Banque Mondiale réunis

 

Pour autant la promesse chinoise n’est pas gratuite…

Les réflexions de Rex Tillerson sur la prudence à observer avec la dette chinoise ne manquent toutefois pas de pertinence. Si on reconnait que la Chine a apporté une quantité significative de capitaux à l’Afrique lorsqu’elle en avait le plus besoin, l’opacité et le manque de détails sur les engagements qu’impliquent ces prêts sont de nature à faire craindre la survenance de difficultés dans un futur proche.

Des observateurs relèvent que certains des accords, derrière ces prêts à taux zero ou presque, sont l’enlèvement des barrières douanières pour certains produits venus de Chine. Cette situation a entraîné l’effondrement de plusieurs chaînes de valeurs en Afrique, notamment dans le domaine du textile, de la métallurgie, ou des matériaux de construction. Au Cameroun, par exemple, des artisans travaillant dans l’extraction de la pierre, dans la localité de Puma (Région du Centre) sont aujourd’hui devenus vulnérables, du fait de l’importation massive des carreaux chinois.

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La moitié des entreprises chinoises avaient des contrats de travail pour tous leurs employés,
contre 100% des entreprises américaines.

Par ailleurs, à mesure que le partenariat économique entre l'Afrique et la Chine évolue, les deux parties devront prendre des mesures décisives pour prévenir les violations du droit travail et de l'environnement. Alors que de telles violations sont commises par des entreprises de toutes les nationalités, plusieurs études révèlent que les infractions, à la réglementation du travail en particulier, sont aujourd’hui plus fréquemment commises par les entreprises chinoises que par les autres firmes étrangères en Afrique.

Par ailleurs, une étude publiée par l'Initiative de Recherche Chine-Afrique de l’université Johns Hopkins, comparant les entreprises chinoises et américaines au Kenya, a révélé que moins de la moitié des entreprises chinoises avaient des contrats de travail pour tous leurs employés, contre 100% des entreprises américaines. L’ONG Human Rights Watch, a pour sa part, noté d'importantes violations de la sécurité des employés dans les mines de cuivre gérées par les sociétés d’Etat chinoises en Zambie.

Mais au-delà de ces critiques directes sur la nature des relations entre la Chine et l’Afrique, certains experts contestent le poids des investissements attribués au Chinois en Afrique. Le professeur Bernard L. Schwartz de l’Université John Hopkins, basée aux USA, a fait une lecture transversale du rapport produit par le Financial Times, cité plus haut. Il note que certains chiffres comme les 20 milliards d’investissements annoncés dans le secteur immobilier égyptien sont « inventés ». Il ramène aussi sur la table des discussions, la notion même de l’investissement, pour expliquer que, si la Chine réalise de grosses prestations de service dans la région, les vrais investisseurs sont les Etats clients, qui doivent rembourser les prêts consentis par les banques d’Etat chinoises. Par ailleurs de nombreux investissement réalisés par des Chinois vivant en Afrique et utilisant des capitaux africains, ne peuvent être considérés comme des flux d’investissement étrangers, même si leurs promoteurs sont des Chinois.

Plus récemment, les dirigeants de ce géant asiatique ont envisagé de réévaluer la valeur de leur monnaie, ce qui augmenterait d’autant l’effort de remboursement de la dette des pays africains à son endroit.

Et si on devrait revenir à l’actualité et la promesse faite par Xi Jinping de continuer de soutenir les pays en développement, les chiffres des trois dernières années invitent au pessimisme. La baisse drastique des prix des matières premières en 2014, qui s’est poursuivie en 2015 et 2016, montre bien le pouvoir économique considérable que la Chine détient déjà sur les Africains. D’autant que ses investissements ont également baissé de 19% en 2016, après avoir déjà décru de 7% et de 5% en 2015 et 2014, respectivement.

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Le pouvoir économique considérable que la Chine détient déjà sur les Africains.

Plus récemment, les dirigeants de ce géant asiatique ont envisagé de réévaluer la valeur de leur monnaie, ce qui augmenterait d’autant l’effort de remboursement de la dette des pays africains à son endroit. Enfin, même si les vrais investissements directs étrangers chinois en Afrique demeurent importants, ils ne représentent que 14,5% de ce que la Chine injecte aux USA, 83% de ses investissements canadiens et seulement l’équivalent de ce qu’elle investir dans la seule Allemagne.

Enfin, même si les vrais investissements directs étrangers chinois en Afrique demeurent importants, ils ne représentent que 14,5% de ce que la Chine injecte aux USA, 83% de ses investissements canadiens et seulement l’équivalent de ce qu’elle investir dans la seule Allemagne.

Malgré ces critiques, la Chine reste une manne d’opportunités évaluée par McKinsey à près de 440 milliards $. Dans un pays qui connaît une telle croissance de sa classe moyenne et un changement de comportement de ses populations en terme de consommation, le besoin de réaliser des économies de production se fait sentir de plus en plus. La 2e partie de ce dossier, à paraître vendredi 30 mars, abordera le potentiel de développement industriel de l’Afrique avec le soutien de la Chine.

Idriss Linge

Idriss Linge

 

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