Cash-Gift gate : la rocambolesque histoire d’un scandale au plus haut sommet du football ghanéen

(Ecofin Hebdo) - Stades pleins, équipes de feu, stars mondialement connues… Depuis sa création officielle, le football ghanéen a toujours fait rêver des millions de supporters à travers l’ancienne Gold Coast, mais également dans plusieurs pays du continent africain. 

Pourtant, si aujourd’hui la sphère footballistique du pays de Abedi Pelé est sous les feux des projecteurs, c’est surtout pour une toute autre raison, beaucoup moins glorieuse : l’affaire du « cash-gift »

Ce scandale de corruption touchant le football ghanéen a fait la une de plusieurs médias africains pendant plusieurs jours en raison de l’implication démontrée de plusieurs responsables du milieu footballistique, non seulement dans le pays ouest-africain, mais également au niveau continental.

Kwesi Nyantakyi Gianni Infantino. png copie

Gianni Infantino, président de la FIFA, et Kwesi Nyantakyi, le patron déchu du football ghanéen.

 

Retour sur les principaux épisodes d’un scandale à grande échelle, qui a fait couler autant d’encre que de salives.

 

« Number 12 » : l’étincelle qui mit le feu aux poudres

6 juin 2018, Accra. Alors que les amoureux ghanéens du ballon rond se préparent à soutenir leur équipe nationale (qui doit affronter l’Islande en match amical), un événement monopolise l’attention de tout le pays à la veille d’une coupe du monde de laquelle sont absents les black stars. La sortie en salle du film documentaire « Number 12 » fait l’effet d’une bombe en levant le voile sur des malversations financières impliquant des acteurs du football ghanéen, à tous les niveaux… des arbitres et joueurs, aux décideurs de la fédération nationale.

Cependant, cette histoire n’aurait peut-être pas eu autant d’impact, si elle n’avait pas impliqué le patron du football ghanéen à l’époque, Kwesi Nyantakyi. Celui qui s’était fait le chantre d’un football sans corruption au Ghana, allait désormais voir son nom affiché au sommet de la « pyramide corruptive » du football ghanéen.

Celui qui s’était fait le chantre d’un football sans corruption au Ghana, allait désormais voir son nom affiché au sommet de la « pyramide corruptive » du football ghanéen.

Dans leur documentaire, les enquêteurs accusent le désormais ex-président de la fédération ghanéenne de football (GFA) d’être impliqué dans plusieurs délits de corruption présumés mettant en jeu des millions de dollars de pots-de-vin. Et le moins que l’on puisse dire c’est que les preuves recueillies par les journalistes infiltrés, à l’aide d’une caméra cachée, ne plaident pas en faveur de l’ancien dirigeant.

 

 

En effet, l’une des scènes du film montre M. Nyantakyi, en discussion avec des potentiels « investisseurs », qui sont en réalité des journalistes d’investigation en pleine opération d’infiltration. Ces derniers lui feront miroiter de jolis contrats d’investissement au titre desquels l’ancien responsable leur proposera de leur faciliter l’accès à des personnalités clés du gouvernement ghanéen, à condition qu’ils lui versent 11 millions de dollars.

En effet, l’une des scènes du film montre M. Nyantakyi, en discussion avec des potentiels « investisseurs », qui sont en réalité des journalistes d’investigation en pleine opération d’infiltration.

Un accord en discussion devant la caméra porte sur 5 millions de dollars par an pendant cinq ans et prévoit des rétrocommissions de 20 % à 25 % qui seraient payées par la fédération à M. Nyantakyi et ses partenaires via une société du nom de Namax. Cet accord sera scellé lorsque le dirigeant acceptera environ 60 000 dollars de pots-de-vin en cash.

Littéralement pris la main dans le sac, les réactions du gouvernement et de celui qui était jusqu’alors premier vice-président de la CAF, ne se feront pas attendre. Dès le lendemain de la diffusion du film en avant-première, le gouvernement annoncera la dissolution de la Fédération nationale en raison de « la nature massive de la corruption présumée ». Entre temps, le président Nana Akufo-Addo portera plainte contre Kwesi Nyantakyi, pour avoir « frauduleusement » utilisé son nom et celui d’autres membres du gouvernement pour des « affaires personnelles ».

 Kwesi Nyantakyi

« J’ai commis une série d’erreurs… »

 

Le vendredi suivant, M. Nyantakyi annoncera sa démission du poste de président de la GFA, quelques heures seulement après avoir été suspendu par la FIFA où il siégeait également. « La controverse causée par l’enquête documentaire est trop importante » déclarera-t-il avant d’avouer : « J’ai commis une série d’erreurs […] en ayant des discussions privées avec les escrocs qui m’ont fait croire qu’ils avaient un intérêt réel à investir dans notre pays. ».

Les journalistes révéleront plus tard que si les négociations pour les projets d’investissements fictifs avaient été poursuivis, l’homme qui dirigeait la GFA depuis 2005 aurait pu potentiellement détourner 4,5 millions $ de fonds.

Les journalistes révéleront plus tard que si les négociations pour les projets d’investissements fictifs avaient été poursuivis, l’homme qui dirigeait la GFA depuis 2005 aurait pu potentiellement détourner 4,5 millions $ de fonds.

 

Des centaines d’officiels démasqués et des matchs truqués

En plus d’avoir provoqué la chute de l’ancien numéro 2 du football africain, le documentaire a également révélé un vaste réseau de corruption impliquant des arbitres au niveau national, régional et continental.

Les journalistes révèlent que dans le cadre de l’enquête, plus de 150 pots-de-vin ont été distribués à plus d’une centaine d’officiels africains et leurs chefs.

Ainsi, les vidéos montrent l’arbitre gambien Ebrima Jallo, accepter plus de 500$ de pots-de-vin de la part des journalistes infiltrés (se faisant passer pour des supporters ghanéens) à quelques heures du coup d’envoi d’un match Ghana-Mali.. L’officiel niera plus tard avoir accepté une quelconque somme d’argent pour influencer l’issue du match qui se déroulait dans le cadre de l’édition 2017 du tournoi de l’UFOA.

Un autre arbitre d’envergure internationale, le kenyan Range Marwa, sélectionné pour officier lors de la coupe du monde 2018 en Russie, sera lui aussi cité dans le scandale. Les images le montreront recevant 600$ de pots-de-vin en espèce, de la part d’un journaliste se faisant passer pour un officiel du football ghanéen, en marge du Championnat d’Afrique des nations (CHAN).

 Range Marwa

L’arbitre international kenyan Range Marwa, pris la main dans le sac.

 

Après la sortie du film, il démissionnera du corps arbitral de la coupe du monde 2018, tout en niant les faits de corruption qui lui sont reprochés.
Les arbitres officiant dans le championnat national et dans la ligue des champions africaine n’ont pas non plus été épargnés le scandale dit du « cash-gift ». Ainsi, les vidéos révèleront que certains arbitres ghanéens ont accepté environ 100 dollars proposés par les faux agents du fan club des Hearts of Oak d'Accra à la veille d'un derby crucial contre le club Asante Kotoko de Kumasi.

Une autre scène encore, montre l’arbitre ivoirien Denis Dembele acceptant 700 $ de cash-gift, en prélude au match de ligue des champions opposant les Algériens de l’Entente Sétif, aux Ghanéens d’Aduana Stars. Un match qui s’est d’ailleurs soldé par une victoire 1 à 0 de ces derniers.

Une autre scène encore, montre l’arbitre ivoirien Denis Dembele acceptant 700 $ de cash-gift, en prélude au match de ligue des champions opposant les Algériens de l’Entente Sétif, aux Ghanéens d’Aduana Stars.

Ces révélations sans précédents, qui ont secoué les réseaux sociaux et les médias du continent, ont surtout démontré que malgré les discours répétitifs des dirigeants du football africain, ce dernier reste gangréné par des malversations et des détournements de tout genre.

 

Anas Aremeyaw Anas : l’œil du tigre

A la tête d’un groupe d’enquêteurs connus sous le nom de « Tiger Eye PI », c’est au journaliste controversé Anas Aremeyaw Anas, que l’on doit la réalisation de ce film documentaire, qui a fait tomber de nombreuses têtes. Connu pour ses méthodes d’investigations qualifiées d’ « extrêmes » par ses détracteurs et pour sa culture de l’anonymat (il fait jamais de sortie publique sans un masque, ndlr), le reporter de 40 ans s’était déjà fait connaître en 2015 pour son film intitulé Ghana in the Eyes of God dénonçant une justice ghanéenne corrompue.

Connu pour ses méthodes d’investigations qualifiées d’ « extrêmes » par ses détracteurs et pour sa culture de l’anonymat, le reporter de 40 ans s’était déjà fait connaître en 2015 pour son film intitulé Ghana in the Eyes of God dénonçant une justice ghanéenne corrompue. 

Pour sa nouvelle œuvre, le journaliste a déclaré que près de deux années d’infiltration ont été nécessaires, pour collecter des heures de vidéos qui ont ébranlé la planète footballistique du Ghana. Plusieurs fois primé pour son travail d’investigation, le reporter a indiqué qu’il espérait qu’une discussion nationale soit organisée pour réformer un football ghanéen gangréné par des années de corruption.

Anas Aremeyaw Anas

Le journaliste Anas Aremeyaw Anas ne dévoile jamais son visage en public.

 

Alors que le président Akufo-Addo a placé son mandat sous le signe d’une lutte acharnée contre la corruption, cette affaire souligne l’étendue des réformes qui doivent être implémentées par le gouvernement pour éradiquer ce fléau de l’administration publique.

Et dans un contexte où les équipes africaines peinent à imposer leur football au niveau mondial, on peut comprendre que plusieurs voix s’élèvent pour étendre les réformes anti-corruption à tous les pays membres de la confédération africaine de football (CAF), et à l’organisation elle-même.

Cette enquête montre surtout que chaque année, ce sont des millions de dollars qui sont détournés au lieu d’être investis dans une machine footballistique, qui pourrait rapporter des milliards de dollars aux pays africains si elle bénéficiait d’investissements efficaces.

D’ailleurs le titre Number 12, donné en référence au fait que la corruption est devenue le 12ème joueur du football ghanéen, en dit long à propos d’une crise qui nécessite des mesures immédiates et efficaces, afin de faire sortir le football des « brésiliens d’Afrique » de la spirale de corruption dans laquelle il s’est empêtré.

Moutiou Adjibi Nourou

Moutiou Adjibi

 

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