Marlène Ngoyi, ou le parcours d’une « fille chanceuse » qui savait qu’un jour, elle rentrerait au pays

(Ecofin Hebdo) - Le 4 Juin 2009, le Ministère des Affaires Etrangères de la République démocratique du Congo se déclare « tout heureux d’informer que le drapeau de la RDC a flotté à l’Université d’Harvard aux USA». Ce jour-là, à 29 ans, la jeune Marlène Ngoyi fait la fierté de son pays qui célèbre son premier lauréat de la plus prestigieuse des universités.

Avant cela, la jeune femme s’était déjà frottée aux fusions-acquisitions chez Merrill Lynch, à New-York, et au private equity chez Reliant Equity Investors, à Chicago. «Je suis juste une fille chanceuse de la République démocratique du Congo qui a parcouru le monde avec beaucoup de questions, espérant rentrer chez elle avec quelques réponses.» dira-t-elle alors. Qu’à cela ne tienne. Aujourd’hui, 10 ans plus tard, la « lucky girl » rentre chez elle, à Kinshasa, avec des réponses plein ses bagages.

Fin 2017, l’ONG américaine The Sentry publie un rapport qui accuse la filiale en RDC de BGFI Bank d’avoir enfreint les régles de lutte contre le blanchiment et d’avoir procédé à des transactions illicites. La banque est touchée, sa réputation est mise à mal. Les résutlats s’en ressentent durement. Le PDG du groupe BGFIBank, Henri-Claude Oyima, doit réagir et trouver une issue rapide à cette crise. Il choisit de tout remettre à plat et forme un nouveau Conseil d’aministration qui, le 5 novembre 2018, décide de confier la direction générale de la filiale à Marlène Ngoyi : à elle de réorganiser l’équipe, de regagner la confiance et de positionner durablement la branche congolaise sur le chemin du succès.

Il choisit de tout remettre à plat et forme un nouveau Conseil d’aministration qui, le 5 novembre 2018, décide de confier la direction générale de la filiale à Marlène Ngoyi.

La jeune banquière a déjà fait ses preuves au sein du groupe qu’elle a rejoint en 2014 pour créer et diriger la banque d’investissement BGFI Capital. A ce titre, elle a structuré les financements de plusieurs grands projets, tels que la réalisation du Port d’Owendo, ou la rénovation de l’hôtel Méridien Mandji de Port-Gentil. Puis en mars 2018, elle a pris la direction de la filiale BGFIBank Europe avant d’apparaître, quelques mois plus tard, comme la meilleure solution pour redonner au groupe toutes ses chances de réussite dans le pays le plus important d’Afrique centrale.

 

Un long périple américain

Née de parents médecins, Marlène Ngoyi a vécu son enfance à Bruxelles, ponctuée de nombreux séjours au Gabon et en RDC : « Mon père qui a pris sa retraite il y a peu de temps, était gastro-entérologue. Il a pratiqué au Gabon, à Lekoni et à Libreville avant de s’installer en République Démocratique du Congo, à Kinshasa et puis d’achever sa carrière de médecin en Belgique. Ses choix professionnels ont très tôt exposé notre famille à l’Afrique rurale, urbaine et à l’Europe également. J’en ai conservé un goût prononcé du voyage et une curiosité pour la diversité, ». Tout comme ses frères et sœurs, éparpillés à travers le monde : « Nous avons tous étudié dans des universités anglo-saxonnes et travaillé à l’étranger dans différents domaines dont la finance, la comptabilité, le marketing, la communication et l’entrepreneuriat. Certains d’entre nous se sont même installés à Kinshasa récemment pour mener des projets dans nos domaines respectifs.»

A 17 ans, la jeune fille part aux USA pour mener ses études universitaires en économie et finance, au Bentley College. Africaine, femme et francophone, elle parvient à s’imposer dans le monde très conservateur de la haute-finance new-yorkaise : « J’ai choisi de faire de mes différences des éléments de distinction. Être reconnaissable, tout en délivrant de manière constante du travail de qualité, peut être un atout dans le secteur de la haute finance comme dans beaucoup d’autres», explique-t-elle.

« Être reconnaissable, tout en délivrant de manière constante du travail de qualité, peut être un atout dans le secteur de la haute finance comme dans beaucoup d’autres»

Diplôme de Harvard en poche, elle entame une année de volontariat au Guatemala avec ACT Fundea où elle découvre l’autre finance, celle des micro-entreprises, de l’engagement social et des retours sur investissement qui se comptent plutôt en sourires. En même temps, elle ajoute la langue espagnole à son champ de compétences.

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« Pour la première fois, le drapeau de la RDC a flotté à l’Université d’Harvard »

 

La mission bouclée, elle s’engage auprès d’un fonds d’impact social basé à Washington DC et initié par la Banque mondiale, le Grassroots Business Fund, en qualité de Porfolio Manager pour l’Afrique : « J’ai pu découvrir les challenges des petites entreprises africaines : les ressources humaines (comment trouver les bonnes personnes, qualifiées et pouvoir les rémunérer suffisamment pour les retenir), le contrôle financier (comment assurer une bonne gestion des cashflows) et l’accès au capital.» confie-t-elle en 2012 au think-tank L’Afrique des Idées.

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« J’en ai conservé un goût prononcé du voyage et une curiosité pour la diversité. »

 

Puis elle rejoint le principal fonds de private equity est-africain, Catalyst Fund, en tant que Chargée d’investissement senior. Là, elle se constitue un solide bagage dans l’accompagnement des entreprises africaines à fort potentiel : « L’Afrique de l’Est est une région avec une base entrepreneuriale très dynamique. La croissance de cette région est diversifiée et ne repose pas uniquement sur l’exportation de matières premières, comme le pétrole, mais plutôt sur les secteurs de l’agriculture et de l’infrastructure. La transformation industrielle joue également un rôle important avec des marchés nationaux et régionaux, plus résilients que les marchés internationaux, et des infrastructures facilitant ces échanges.»

 

Des ambitions pour BGFIBank RDC

Toutes ces expériences professionnelles, plutôt exigeantes, vont permettre à la nouvelle directrice générale de BGFIBank RDC de faire face au challenge qui se présente à elle.

Pour ce qui concerne le passé turbulent de sa filiale, elle reconnaît que des ex-employés ont porté dans les médias « des accusations lourdes contre des ex-dirigeants » et rappelle que pour l’heure aucun jugement n’a encore été rendu : « La justice française a été saisie depuis plus de 6 mois contre la personne morale qu’est la banque, nous attendons donc que la procédure suive son cours sur base des éléments présentés.».

« Notre rôle est, entre autres, de supporter les Etats et les institutions publiques de par notre savoir-faire de banquier, tout en demeurant parfaitement apolitique »

Mais peut-on, en RDC, diriger une banque de premier plan sans devoir composer avec la classe politique ? « Notre rôle est, entre autres, de supporter les Etats et les institutions publiques de par notre savoir-faire de banquier, tout en demeurant parfaitement apolitique et en respectant strictement la déontologie des opérations financières et bancaires. Il est évident qu’une banque de premier plan comme BGFIBank RDC est en mesure d’offrir des solutions sur mesure, d’investissement, de financement, de placements et de conseil aux Etats, aux institutions publiques et parapubliques ou aux partenariats public-privé. Cette expérience avérée à travers l’Afrique est d’ailleurs un de nos atouts majeurs pour le marché congolais.».

La banque d’investissement n’est pas le seul domaine que la DG veut développer en RDC. Elle compte, par exemple, mettre à profit les capacités de Loxia, la banque de microfinance du groupe BGFI : « La microentreprise supportée par la microfinance peut permettre aux jeunes et aux femmes d’avoir accès à des financements, de lancer des microentreprises et de devenir créateur plutôt que demandeur d’emplois.». Selon elle, « l’ubérisation » de la société, souvent décrié en Occident, offre en Afrique des opportunités considérables car « les nouvelles technologies peuvent permettre à des micro-entrepreneurs de se mettre directement en contact avec des clients ».

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« Il est sain que la gouvernance, tant au niveau des conseils d’administration que de la direction générale, se rapproche de la parité. »

 

Evidemment, ce n’est pas à elle qu’on expliquera que le développement de la RDC passera prioritairement par les Congolaises… D’autant que sur les 11 filiales de BGFIBank, 4 sont déjà dirigées par des femmes : « Il est sain que la gouvernance, tant au niveau des conseils d’administration que de la direction générale, se rapproche de la parité et reflète finalement la société dans laquelle on évolue. ». A-t-elle pour autant l’intention de féminiser davantage sa filiale en RDC ? « Il est d’après moi encore plus important d’instaurer une culture de la méritocratie, laquelle résulte en général en une parité homme-femme aux différentes fonctions de l’entreprise et surtout donne des opportunités à des talents divers et variés de relever les challenge qui le sont tout autant.»

« Il est d’après moi encore plus important d’instaurer une culture de la méritocratie, laquelle résulte en général en une parité homme-femme aux différentes fonctions de l’entreprise.»

Ainsi, la nouvelle dynamique de BGFIBank RDC se met en place. Elle coïncide par bonheur avec le début d’une nouvelle page de l’histoire de la RDC. Coïncidence ? Pas sûr. Il y a 10 ans, à Harvard, à la question de la poète Mary Oliver, « Que comptes-tu faire de ta vie sauvage et précieuse ? », Marlène Ngoyi s’était projetée dans le futur, anticipant un retour en Afrique : « Elle dira aux gens chez eux qu'ils n'ont pas été oubliés. Elle leur dira de rester optimiste. Elle leur dira qu'elle a vu un homme né d'un père africain devenir président des États-Unis. Elle leur dira que leurs voix commencent à être entendues. Ensuite, elle s’arrêtera pour écouter leurs histoires et, ensemble, nouvellement inspirés, ils écriront le prochain chapitre».
C’était écrit.

 Dominique Flaux

 

 

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