Strive Masiyiwa : Econet, EcoCash et Kwese TV ou les fruits de la foi

(Ecofin Hebdo) - A une époque où la plupart des grandes fortunes n’existent que par les chiffres, Strive Masiyiwa réussit à offrir plus que les fluctuations de son compte en banque. Considéré comme une des personnalités les plus inspirantes de l’écosystème africain des affaires, le philanthrope zimbabwéen va de victoires en victoires, sans jamais renier ses bases : la foi et la persévérance.

Strive Masiyiwa, le magnat des télécoms, dispose d’une fortune estimée par Forbes à 1,7 milliard de dollars, il devient le premier zimbabwéen de l’histoire dont la fortune personnelle atteint le milliard de dollars. Belle revanche pour celui qui a dû trainer en justice le gouvernement de son pays pour avoir le droit de lancer Econet Wireless, l’entreprise de télécommunications qui est aujourd’hui à la base de son empire.

 

Pour l’amour du Zimbabwe

Il a passé si peu de temps dans son pays qu’on oublierait presque qu’il est Zimbabwéen. Pourtant Strive Masiyiwa a toujours fait montre d’un reél attachement à son drapeau et ce malgré tout le temps passé à l’étranger. Né le 29 janvier 1961 en Rhodésie du Sud (sur le territoire actuel du Zimbabwe), il doit déjà quitter sa terre natale à l’âge de 7 ans, lorsque ses parents partent s’installer en Zambie pour fuir l’instabilité du pays. Puis il va poursuivre ses études secondaires en Angleterre, à Edinburg. Malgré l’éloignement, son cœur n’a jamais cessé de battre pour son pays. Après avoir fini ses études secondaires, il rentre au Zimbabwe dans le but de rejoindre les rangs de la guérilla antigouvernementale.

« Nous finirons par gagner ce combat de toute façon. A ce moment-là, nous aurons besoin de personnes comme toi pour reconstruire la nation ».

A ce moment, il reçoit un des conseils les plus importants de son existence. Alors qu’il s’apprête à rejoindre les rangs de la milice, un de ses ainés le convainc de ne pas le faire : « Nous finirons par gagner ce combat de toute façon. A ce moment-là, nous aurons besoin de personnes comme toi pour reconstruire la nation ».

Strive Masiyiwa retourne alors en Grande-Bretagne, où il obtient son diplôme en ingénierie électronique et électrique. Il rentre au Zimbabwe en 1984 et rejoint la Société des postes et télécommunications du Zimbabwe (ZPTC), la compagnie de nationale de télécommunications, en tant qu'ingénieur. Rapidement promu au poste d'ingénieur principal, il est pourtant assez vite frustré par la bureaucratie et la corruption. Il quitte la ZPTC en 1988 pour créer une société de sous-traitance électrique appelée Retrofit Engineering. A sa tête, Strive Masiyiwa est rapidement distingué « jeune homme d'affaires de l'année du Zimbabwe », en 1990. Malgré le succès de cette entreprise, l’ancien de la ZPTC va pourtant arrêter l’aventure Retrofit Engineering pour se lancer dans les télécoms.

Econet Wireless : histoire d’un long bras de fer entre foi et justice
Sentant venir l’énorme attirance de Afrique pour les téléphones portables, Strive Masiyiwa décide de créer un réseau de télécommunications sans fil, chose rare sur le continent dans les années 90.

Strive Masiyiwa

Strive Masiyiwa décide de créer un réseau de télécommunications sans fil, chose
rare sur le continent dans les années 90.

Après avoir consacré une année entière à la rédaction de son projet d’affaires, il contacte l’un des meilleurs banquiers d'investissement du pays : Nkosana Moyo, PDG de Standard Chartered Merchant Bank Zimbabwe. « J'avais appelé ma nouvelle entreprise "Enhanced Communications Network". Nkosana Moyo a lu mon plan d'affaires et a déclaré : Puis-je suggérer un changement de nom? Je pense que vous devriez l'appeler, ECONET. C'est un super projet, nous serions heureux de le financer », raconte Strive Masiyiwa.

Après le financement, il fallait encore obtenir l’accès à des radiofréquences spéciales. Pour cela, il fallait que le jeune entrepreneur entre en contact avec ses anciens employeurs de la ZPTC. Et c’est là que les problèmes vont commencer. En plus d’être un opérateur public, la ZPTC est également le régulateur des télécoms sur un marché où l’entité détenait un monopole absolu.

Ses dirigeants ont refusé l’offre déclarant que le mobile n’avait pas d’avenir sur le continent.

Histoire de faciliter la création d’Econet, Strive Masiyiwa propose à la ZPTC de former avec lui un joint-venture au sein duquel il ne détiendrait que 49% de l’entreprise. La réponse de la ZPTC ferait, aujourd’hui, rire n’importe quel acteur du secteur des télécoms en Afrique. Ses dirigeants ont refusé l’offre déclarant que le mobile n’avait pas d’avenir sur le continent.

Strive Masiyiwa décide alors de demander des fréquences pour réseau mobile s’ils ne sont pas intéressés. Juge et parti, la société publique de télécommunications refuse, évidemment, d’accorder des fréquences à Econet qui pourrait menacer son monopole sur la communication téléphonique dans le pays, si jamais le projet réussissait.

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L’entrepreneur va trainer tout l’establishment zimbabwéen devant la justice.

« Comment pouvez-vous invoquer un monopole sur un segment que vous ne comptez même pas exploiter ? », s’indigne encore des années plus tard Strive Masiyiwa.
Qu’à cela ne tienne, l’entrepreneur traine tout l’establishment zimbabwéen devant la justice. « Le meilleur avocat pour ce genre de cas était Antony Eastwood. Il est semi-retraité et défend uniquement les cas qui l'intéressent. Il avait l'habitude de défendre les combattants de la liberté pendant la lutte contre le colonialisme. Il est excentrique, mais c’est un génie. Si vous pouvez le persuader, ainsi que ses partenaires, de prendre ce cas, alors vous avez la meilleure équipe juridique », lui conseille Ian Donovan, l'avocat de la banque qui ne veut pas entrer en conflit avec le gouvernement.

L'équipe de Kantor et Immerman, le cabinet dont Antony Eastwood était partenaire, va adorer l'affaire. Ils suggèrent la consultation d’un expert en droit des télécoms. Strive Masiyiwa choisit Judith O'Neil, une avocate américaine. Nous sommes donc allés en justice pour obtenir une licence et des fréquences. Six mois après la plainte, le 24 janvier 1994, le tribunal statue en faveur d’Econet et oblige la ZPTC à accorder des fréquences à l’entreprise. Malgré cela, Strive Masiyiwa ne le sait pas encore à cette époque, son temps dans les tribunaux est loin d’être terminé. La ZPTC fait appel de la décision et obtient gain de cause. A ce moment, tout est fini pour Strive Masiyiwa et Econet qui n’ont même pas la possibilité de faire appel.

 

Le storytelling religieux

C’est là qu’interviendra la « main divine » dans la vie de celui qui se définit aujourd’hui comme « un entrepreneur chrétien et croyant ». Alors qu’il n’est pas très pratiquant, il assiste à un culte et « nait de nouveau ». Il commence alors à lire la Bible, avec une frénésie qui n’a, selon ses propres dires, pas disparu. Le salut viendra lors d’un culte. « Vous avez fait des rêves dans lesquels vous construisez des tours, un peu comme des tours de diffusion, partout dans le monde. Dieu me demande de vous dire qu'Il est celui qui vous donne ces rêves, et qu'Il va les faire se réaliser », s’exclame le pasteur lors de la prière en plein culte du dimanche. Quelques jours plus tard, le miracle tant attendu se produit. Il vient, selon la légende, sous la forme d’un appel téléphonique.

« Il y a une clause dans la constitution, qui stipule spécifiquement que chaque Zimbabwéen aura le droit de transmettre des informations, sans entrave. J'étais là, quand elle a été adoptée. Discutez-en avec vos avocats ».

C’est de la capitale britannique, où la première constitution du Zimbabwe a été conçue en 1979, qu’un mystérieux appel a changé le destin de Strive Masiyiwa. « Il y a une clause dans la constitution, qui stipule spécifiquement que chaque Zimbabwéen aura le droit de transmettre des informations, sans entrave. J'étais là, quand elle a été adoptée. Discutez-en avec vos avocats. Je pense que cela pourrait être utile dans votre cas. Ce n'est pas fini, si vous avez le courage d'aller à la Cour constitutionnelle », déclare le mystérieux interlocuteur.

« Si vous voulez supprimer un monopole, vous devez poursuivre le gouvernement devant le tribunal spécial de la Cour constitutionnelle », complètera l'avocat Adrian De Bourbon.

« J'ai étudié de très près l'article 20 de la Constitution, je crois qu'il est juridiquement possible d'abolir ce monopole, au motif qu'il entrave la liberté d'expression. Notre défi est que cela n'a jamais été fait nulle part dans le monde »

« J'ai étudié de très près l'article 20 de la Constitution, je crois qu'il est juridiquement possible d'abolir ce monopole, au motif qu'il entrave la liberté d'expression. Notre défi est que cela n'a jamais été fait nulle part dans le monde et il y a des monopoles comme celui-ci partout, y compris dans les pays développés », poursuit Adrian De Bourbon.

Le lendemain, Strive Masiyiwa autorise ses avocats à lancer la procédure judiciaire contre le monopole. Le 18 décembre 1995, deux ans et demi après la première audience, la Cour constitutionnelle du Zimbabwe annule le monopole de la ZPTC sur les télécommunications. Econet peut obtenir sa licence. Après cela, les progrès de la compagnie seront fulgurants.

 

Le Zimbabwéen le plus fortuné de la planète

Strive Masiyiwa déplace son siège en Afrique du Sud où il part s’installer en l’an 2000. Econet s’étend progressivement dans plusieurs pays africains. Sa filiale zimbabwéenne devient le contribuable le plus important du pays pendant que Strive Masiyiwa en devient la première fortune. En effet, avec la démocratisation du téléphone mobile en Afrique, les premiers opérateurs télécoms, comme Econet réalisent d’énormes bénéfices. En 2005, l’opérateur devient un des pionniers du mobile money en développant un système de paiement mobile pour aider les ONG à effectuer des transferts d'espèces aux réfugiés après la guerre du Burundi.

Dans les 18 mois suivant le lancement d’EcoCash, près du tiers de la population adulte du Zimbabwe adopte le service.

Après de nombreuses améliorations, cette méthode de paiement donne naissance au service EcoCash, officiellement lancé en 2011. Dans les 18 mois suivant le lancement d’EcoCash, près du tiers de la population adulte du Zimbabwe adopte le service.
En février 2013, Econet acquiert la majorité des parts de TN Bank Zimbabwe, l'une des banques commerciales locales, et la rebaptise Steward Bank.

Une année plus tard, Econet Wireless rachète Telecel Burundi et Telecel République centrafricaine pour 65 millions de dollars. Strive Masiyiwa acquiert également un peu plus de la moitié des parts la société privée Liquid Telecom, premier opérateur privé fournissant de la fibre optique en Afrique.

 

Un modèle pour la jeunesse africaine

Au fur à mesure des acquisitions d’Econet, celui qui était déjà une icône locale à cause de son combat victorieux contre l’establishment, devient un homme d’affaires fortuné, respecté partout dans le monde. Plébiscité à l’échelle mondiale, notamment par des personnalités comme l’ancien président américain Barack Obama, il devient un modèle pour la jeunesse africaine grâce à ses prises de position pour la lutte contre la corruption. L’homme d’affaires deviendra administrateur de la Fondation Rockfeller et de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique.

Plébiscité à l’échelle mondiale, notamment par des personnalités comme l’ancien président américain Barack Obama, il devient un modèle pour la jeunesse africaine grâce à ses prises de position pour la lutte contre la corruption.

Egalement philanthrope, il crée et finance, avec son épouse Tsitsi Masiyiwa, une fondation qui octroie des bourses à plus de 25 000 orphelins et enfants de familles à revenus très bas.

 

Une nouvelle aventure

Le 4 décembre 2015, il se lance dans une nouvelle aventure. Après avoir conquis les télécoms, Strive Masiyiwa se tourne vers l’industrie audiovisuelle. Econet Wireless crée un opérateur de télévision payante : Kwese TV. Après des débuts intéressants, la nouvelle filiale d’Econet prend de l’ampleur au point de se classer aujourd’hui parmi les leaders du marché audiovisuel africain. Véritable machine, Kwese TV n’arrête pas de se développer, se signalant notamment sur la diffusion d’évènements sportifs prestigieux. Strive Masiyiwa réussit même l’exploit, au terme d’une autre bataille juridique, à lancer les services de l’opérateur au Zimbabwe.

Strive Masiyiwa

Il a une confiance et une foi absolue dans ses décisions.

Cette fois, il n’a pas douté. Il a une confiance et une foi absolue dans ses décisions, toujours guidées par ses prières. Désireux d’apporter son expérience et d’inspirer une nouvelle génération d’entrepreneurs africains, le fondateur d’Econet n’hésite pas à participer à des conférences et donner des conseils.

Bien que cela reste du domaine de l’hypothétique, Strive Masiyiwa pourrait bien, à la manière d’un Cyril Ramaphosa en Afrique du Sud, contrarier les plans d’Emerson Mnangagwa qui se voit déjà président.

Apprécié sur tout le continent, son retour est de plus en plus réclamé sur ses terres, au Zimbabwe, depuis le départ de Robert Mugabe. Certains rêvent déjà de le voir participer aux prochaines joutes électorales.

Bien que cela reste du domaine de l’hypothétique, Strive Masiyiwa pourrait bien, à la manière d’un Cyril Ramaphosa en Afrique du Sud, contrarier les plans d’Emerson Mnangagwa qui se voit déjà président. Cette fois, c’est peut-être aux Zimbabwéens de joindre leurs mains, dans un acte de foi, pour demander, dans une prière, le retour de leur fils prodigue.

Servan Ahougnon

 

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