Ouganda : le blues de Bobi Wine

(Ecofin Hebdo) - Chanteur à l’origine, le député Bobi Wine a découvert crescendo la teneur de la haine que lui vouent depuis plusieurs mois les autorités ougandaises. Accusé de trahison, le symbole de la jeunesse ougandaise affirme avoir été torturé par les forces de l’ordre. Les autorités, fidèles à leur leitmotiv, nient. Pourtant, tout le monde le sait, la voix dissonante de Bobi Wine ne plait pas beaucoup au gouvernement ougandais.

« Les forces de défense du peuple ougandais ne torturent pas », a assuré à RFI Richard Karemire, le porte-parole de l'armée ougandaise. Pourtant, le lundi 3 septembre Bobi Wine, le musicien devenu député, en 2017, assurait le contraire.

Bobi Wine

 

Condamné, fin août, pour trahison par une cour martiale, le chanteur a été libéré sous caution, la semaine dernière. Il s’est alors rendu aux Etats-Unis, d’où il a donné des détails sur sa détention, très musclée. Il aura fallu une pétition internationale, un procès et beaucoup de résilience pour un homme, habitué aux battements des instruments, mais visiblement brisé, pour retrouver la liberté.

 

L’enfant de Kamwookya

Voir Bobi Wine, sortir de la salle d’audiences sur des béquilles, visiblement affaibli et les yeux livides a profondément choqué une grande partie de la foule venue le soutenir. Pour elle, son héros est toujours apparu énergique, tel un combattant, sur la scène comme dans la vie. Celui que beaucoup d’Ougandais considèrent comme leur président de cœur, n’avait jamais semblé aussi atteint. Il a pourtant affronté, pendant de longues années, le quotidien difficile des ghettos ougandais.

Voir Bobi Wine, sortir de la salle d’audiences sur des béquilles, visiblement affaibli et les yeux livides a profondément choqué une grande partie de la foule venue le soutenir.

En effet, celui qui est plus connu sous son nom de scène, est né le 12 février 1982, à l’état civil Robert Kyagulanyi, dans ce qui était alors le district de Mpigi. Il grandit dans le bidonville de Kamwookya, un des plus démunis de Kampala, la capitale ougandaise. Dernier d’une fratrie de 10 enfants, l’artiste vit de plein fouet les affres de la pauvreté. Mais à la résignation, l’enfant de Kamwookya va préférer la détermination, la créativité et une véritable révolte. Ces sentiments, il les mettra, dès son plus jeune âge, en musique. Le jeune garçon était fou de reggae, un style musical propice à son combat pour des lendemains meilleurs. A l'école, il avait pour habitude de prévenir ses camarades qu’il y aurait concert à la fin des cours. Après l'école, il faisait payer l’entrée cinquante shillings (0,01 dollar) par élève, avant de performer sur scène où il avait pour seuls équipements un walkman et un amplificateur empruntés. La direction de l’école n’était évidemment pas d’accord, mais c’était le seul moyen pour le jeune garçon d’avoir de l’argent de poche.

A la fin de sa classe de seconde, il avait composé beaucoup de chansons mais n'avait pas d'argent pour enregistrer dans un studio. Il décide alors d’économiser pour y parvenir. En 1998, après l’équivalent du baccalauréat dans le système anglais, il a assez épargné pour enregistrer quatre titres qui, hélas, ne passeront pas à la postérité.

En 1998, après l’équivalent du baccalauréat dans le système anglais, il a assez épargné pour enregistrer quatre titres qui, hélas, ne passeront pas à la postérité.

Découragé, Robert Kyagulanyi enchaîne les petits boulots pour avoir de quoi s’inscrire à l’Université de Makerere, en option musique, danse et art théatral. En 2000, alors qu’il est en 1e année, il enregistre la chanson « Abakyala », qui rencontre aussi peu de succès que les précédentes.

A cette époque, il fabrique des briques de terre pour subvenir à ses besoins. « Je n'avais pas peur que mes amis me manquent de respect parce qu'ils comprenaient ma situation », confie le musicien sur cette époque. Quelques mois plus tard, Il enregistre la chanson « Akagoma ». Ce sera la pierre angulaire de son succès musical. La chanson fera le tour des stations locales de radio et des nightclubs de Kampala.

 

Des micros au parlement

Inspiré, entres autres, par le légendaire Bob Marley, le jeune homme devient Bobi Wine et se sert de ses chansons pour dénoncer la misère qu’il a connue dans les ghettos. Il prend la tête d’un groupe qui deviendra très populaire sur le plan local : le Fire Base Crew. Malheureusement, le groupe se sépare, obligeant Bobi Wine à créer le « Ghetto Republic of Uganja », une autre bande.

 Bobi Wine Freedom Song 1

 

Petit à petit, il s’impose sur la scène musicale ougandaise. Toujours en quête de défis, il obtient en 2008 une licence de boxeur. Il fera quelques combats amateurs. Au fil des années, il devient un des chouchous du public, notamment grâce à son franc-parler, même si ses nombreuses actions humanitaires y sont également pour quelque chose.

N’ayant pas froid aux yeux, le chanteur n’hésite pas à dénoncer l’administration du président Yoweri Museveni, dont il devient un des principaux détracteurs. En avril 2017, il décide de rejoindre une autre scène, un nouveau combat : l’arène politique.

Pour sa quête d’un siège au parlement, il se présente, indépendamment de toute formation politique, dans la circonscription Est de Kyaddondo.

Bobi Wine annonce, à la surprise générale, sa candidature à l'élection partielle tenue pour remplacer celle de 2016, entachée de fraudes. Pour sa quête d’un siège au parlement, il se présente, indépendamment de toute formation politique, dans la circonscription Est de Kyaddondo. Il met en place une campagne de proximité, favorisée par sa popularité. En rencontrant la majorité des électeurs, il convainc le peuple et devient député, au grand dam des autorités ougandaises.

 

L’affaire Bobi Wine

Très critique envers un gouvernement dont les partisans essaieront à plusieurs reprises de s’en prendre à lui, le député cristallise la haine de la mouvance. Idole des jeunes, et d’une population qui se reconnait dans l’enfant de Kampala, Bobi Wine draine les foules et devient un des principaux visages de l’opposition, alors qu’il n’a même pas 40 ans.

Idole des jeunes, et d’une population qui se reconnait dans l’enfant de Kampala, Bobi Wine draine les foules et devient un des principaux visages de l’opposition, alors qu’il n’a même pas 40 ans.

Finalement, le régime en place finira par mettre la main sur cet « agitateur », de plus en plus dangereux. En août, des opposants, auraient attaqué, à coups de pierres, le convoi du président Yoweri Museveni, dans la ville d'Arua, au nord du pays. Aux pierres, les forces de sécurité répondront par les armes. Bobi Wine, présent sur les lieux, ne pourra rien contre la mort de son chauffeur, touché par une balle. Le boxeur amateur sera arrêté, avec 32 personnes, le lendemain, pour possession illégale d'armes à feu et d'incitation à la violence.

 bobi wine in hospital

 

Admis devant un tribunal militaire, le 16 août, il sera condamné pour trahison. S’en suivront, selon ses allégations, des jours de torture. « Ils m'ont battu, donné des coups de poing et frappé à coups de pieds. Aucune partie de mon corps n'a été épargnée. Ils m'ont enroulé dans une grande pièce de tissu (...) Ces types m'y ont fait des choses innommables. Ils ont sorti mon sexe et écrasé mes testicules tout en me frappant avec des objets que je n'ai pas vus », révèlera Bobi Wine sur son compte Facebook. Finalement, l’artiste devra, entre autres son salut, à une mobilisation nationale de l’opposition et à une pétition, signée par des célébrités internationales comme la diva Angélique Kidjo et le prix Nobel nigérian, Wole Soyinka.

« Ces types m'y ont fait des choses innommables. Ils ont sorti mon sexe et écrasé mes testicules tout en me frappant avec des objets que je n'ai pas vus ».

Finalement, il sera libéré sous caution, avant d’obtenir difficilement le droit de quitter le pays. Il se rendra aux Etats-Unis. Finalement, il est loin de l’Ouganda, comme le veulent certainement ses ennemis, au sein du gouvernement.

bobi

 

Visiblement détruit l’ancien boxeur amateur semble désormais incapable de reprendre le combat.

Servan Ahougnon

servan ahougnon

 

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