Entretien avec Roger Owono Mba, ministre des finances du Gabon : « Nous sommes quasiment au bout du tunnel ! ».

(Ecofin Hebdo) - De passage à Yaoundé au Cameroun où il participait aux travaux du sommet extraordinaire des chefs d’Etats de la CEMAC, le ministre gabonais de l’Economie, des Finances et des Solidarités nationales, a accepté d’échanger avec l’Agence Ecofin, sur différents points des évolutions économiques dans cette sous-région. Il a ainsi apporté une voix gouvernementale aux différents défis que traversent la sous-région et son pays, depuis les trois dernières années, ainsi que ses perspectives.

Agence Ecofin : Selon les plus récentes prévisions du FMI qui confirment de nombreuses analyses, la croissance du PIB repart à la hausse dans la CEMAC en 2019. Comment, vous et vos homologues, ministres des Finances de cette sous-région, appréciez-vous cette performance ?

Roger Owono Mba : Il est vrai que le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC) est en hausse. En 2018,  nous avons enregistré un taux de croissance de 1,7% et on devrait avoisiner les 2,7% en  fin d’année 2019. Cette hausse est liée à toute une série de mesures et de réformes qui ont été prises dans tous les pays membres de la CEMAC, à la suite de la réunion de Yaoundé en décembre 2016, lorsque les chefs d’Etat s’étaient réunis avec Christine Lagarde, ancienne Directrice générale du Fonds monétaire international.

1Sans titre 2

« En réalité, toute l’économie était menacée.»

Au-delà de la crise économique, un problème monétaire se posait à cette époque avec la baisse drastique de nos réserves. En réalité, toute l’économie était menacée. Les réformes engagées depuis ce temps, au plan budgétaire et monétaire, nous ont permis de stabiliser nos économies en 2019 et de nous projeter sur d’assez bonnes perspectives pour 2020.

Agence Ecofin : Avec cette croissance, la position extérieure de la CEMAC se renforce, mais un pan important de défis microéconomiques, comme la croissance inclusive et les investissements sur les infrastructures sociales, semble être à la traîne. Comment gérez-vous les arbitrages qui résultent de cette situation ?

Roger Owono Mba : Nous sommes bien sortis de la période de crise mais les effets de celle-ci ne se sont pas tous dissipés. Il reste à gérer par exemple le service de la dette qui s’est alourdi.

« Nous sommes bien sortis de la période de crise mais les effets de celle-ci ne se sont pas tous dissipés. Il reste à gérer par exemple le service de la dette qui s’est alourdi. »

C’est normal que les populations ne perçoivent pas tout de suite les retombées, car il nous faut mobiliser des ressources supplémentaires pour renouer avec le niveau d’investissement d’avant la crise. Il faut aussi reconnaître qu’au Gabon, nous avons réussi à limiter la dégradation de la situation grâce notamment à l’implication des acteurs privés qui ont financé des investissements dans les infrastructures et les activités productives. L’Etat projette de renouer avec un effort conséquent dans les infrastructures (routes, écoles, santé) comme cela est prévu dans le budget 2020 en examen à l’Assemblée nationale.

Agence Ecofin : Pour le renforcement des réserves de changes, la BEAC s’est engagée à travailler avec les Etats sur le rapatriement des revenus, notamment des secteurs pétrolier et minier qui soutiennent l’économie en zone CEMAC, quelle appréciation faites-vous de l’évolution des discussions en cours à ce sujet ?

Roger Owono Mba : Il est légitime que les économies de la sous-région souhaitent tirer pleinement bénéfice des ressources financières issues de la vente de leurs matières premières.

« Il est légitime que les économies de la sous-région souhaitent tirer pleinement bénéfice des ressources financières issues de la vente de leurs matières premières. »

Pendant longtemps, dans les périodes fastes où le prix du baril de pétrole était à 100 $, le peu qui revenait dans la sous-région nous garantissait un niveau de réserve suffisant. Aujourd’hui, compte tenu de notre position extérieure, il devient de plus en plus important de rapatrier le maximum possible, mais sans mettre en péril le développement des activités.

Ainsi la BEAC a mis en place une réglementation de change qui fixe les règles pour sortir des devises du pays, afin de conserver le maximum de devises dans le secteur bancaire de la communauté. L’institution travaille pour limiter l’évasion des capitaux. Donc pour faire un transfert vers l’extérieur, on exigera plus de justificatifs. C’est aussi une question de logique, car la monnaie qui a cours légal en zone CEMAC est le Franc CFA et les acteurs économiques doivent recourir à cette monnaie pour faire des transactions dans cet espace économique. Pour ce qui a trait aux entreprises pétrolières et minières, l’institution leur demande de justifier les raisons pour lesquelles elles souhaitent avoir des comptes en devises et dans quelles proportions. Nous sommes conscients de la particularité de ces secteurs qui nécessitent d’importantes dépenses qui sont le plus souvent effectuées en devises. Dans le même temps, les entreprises ont besoin de pouvoir exécuter les opérations de change rapidement avec la même facilité que celles effectuées sur les grands marchés.

« Les entreprises ont besoin de pouvoir exécuter les opérations de change rapidement avec la même facilité que celles effectuées sur les grands marchés»

C’est la trame du débat que nous avons avec les pétroliers et les miniers qui veulent être rassurés sur la capacité de notre Banque centrale à répondre à cette exigence.

Agence Ecofin : Au Gabon, pour diversifier votre économie, vous avez attiré de nombreux investisseurs étrangers. Comment faites-vous pour leur garantir que cette question de gestion de change sera maîtrisée ?

Roger Owono Mba : Les règles de fonctionnement de la Banque centrale sont les mêmes dans les six pays de la zone. Il n’y a pas de mesure spécifique par pays. Néanmoins, nous avons mis en exergue la situation des gros investisseurs dont les préoccupations doivent être prises en compte, comme c’est le cas des pétroliers et des miniers. Lors des discussions de Douala, l’entreprise Olam, par exemple, avait pris part aux débats. Il revient à la Banque centrale d’être à l’écoute et d’apporter une réponse aux préoccupations spécifiques de ce type d’opérateurs.

Agence Ecofin : Sur le plan financier, la CEMAC est parvenue très rapidement à son objectif de fusion des places boursières de Douala et de Libreville. Au niveau des ministres des Finances de la sous-région, quel est le consensus qui se dégage sur les prochaines étapes, sachant que la proposition d’ouvrir le capital des sociétés publiques se fait fortement attendre ?

Roger Owono Mba : Il est vrai que nous avons perdu du temps avec nos deux bourses, ce qui n’a pas été le cas en Afrique de l’Ouest où une seule bourse, à Abidjan, a été mise en place.

« Il est vrai que nous avons perdu du temps avec nos deux bourses, ce qui n’a pas été le cas en Afrique de l’Ouest où une seule bourse, à Abidjan, a été mise en place.»

Notre marché boursier en Afrique centrale ne fonctionne pas à plein régime et plusieurs facteurs expliquent cette situation. Il y a la culture de nos agents économiques qui peinent encore à voir dans la bourse, un moyen de financer leurs activités. Il faudrait donc sensibiliser ces derniers sur le rôle fondamental de la bourse comme plateforme de financement. S’ajoute à ce facteur le fait que la bourse unifiée soit récente et le compartiment qui fonctionne plus ou moins bien est celui des obligations. Notant que la majorité des émetteurs sont les Etats ou les institutions sous-régionales. La bourse doit aussi montrer sa capacité à gérer ces activités. Nous espérons que les choses évoluent et qu’émerge une bourse unifiée plus forte.

Agence Ecofin : La crise n’est pas encore complètement passée en zone CEMAC, et les attentes sociales sont encore plus nombreuses. Or, la mobilisation des revenus fiscaux demeure en dessous de la moyenne africaine de 21% du PIB. Les banques, bien que surliquides, ne peuvent soutenir des investissements de long terme et le marché international est un peu complexe. Est-ce que le ministre des Finances que vous êtes parvient à trouver le sommeil avec tous ces défis contradictoires ?

Roger Owono Mba : La mobilisation des ressources constitue en effet l’un de nos principaux défis. C’est le sens des actions initiées pour réduire les exonérations fiscales. Nous devons travailler à l’élargissement de l’assiette fiscale pour que la charge soit mieux répartie entre tous les agents économiques.

« La problématique des créances en souffrances montre qu’il ne faut pas amener le banquier à financer ce qui n’est pas viable.»

La question du financement bancaire ne peut se limiter à l’état de la liquidité des banques. Il faut prendre en compte tout l’encadrement des promoteurs qui permet d’améliorer la qualité des dossiers soumis au banquier.

2Roger Owono Mba

« Certaines réformes s’imposent, bien qu’étant difficiles à faire accepter en raison de leur impact sur le plan social.»

La problématique des créances en souffrances montre qu’il ne faut pas amener le banquier à financer ce qui n’est pas viable. Nous devons en plus travailler à l’assainissement du cadre juridique pour permettre au créancier de faire jouer les garanties associées au prêt consenti en cas de défaillance.

Agence Ecofin : Un autre défi des pays membres de la CEMAC est celui des arriérés de paiements par le gouvernement, qui désormais constitue un risque pour les banques. Quelles sont les options en cours pour solutionner cette situation ?

Roger Owono Mba : Aucun Etat ne fait exprès d’accumuler des arriérés. La réalité est que les ressources étaient limitées sur les dernières années. Nous sortons d’une crise et qui dit crise, dit rareté des ressources et priorisation des urgences, par conséquent. La rareté des ressources a poussé les Etats à prioriser en fonction des urgences.

Agence Ecofin : Trois ans après le grand sommet de décembre 2016 à Yaoundé, à quelle distance, selon vous, se trouvent les peuples de la CEMAC d’une vraie sortie de crise ?

Roger Owono Mba : Nous sommes quasiment au bout du tunnel. Certes, le taux de croissance espéré n’est pas encore atteint, mais les grands équilibres se remettent en place, s’ils ne le sont déjà. Il faudrait néanmoins rester vigilants, car nos économies ne sont pas à l’abri d’une nouvelle baisse des prix du pétrole. Cette matière première représente encore l’essentiel de nos revenus. Aussi, le contexte international est devenu un peu compliqué. Il y a des tensions commerciales qui se poursuivent entre la Chine et les Etats-Unis. Ces facteurs pourraient perturber le marché mondial et par conséquent, la demande de pétrole dans le monde. Tout cela fait que nous devons rester vigilants et essayer de continuer à appliquer les réformes que nous avons mises en place depuis 2016. Celles-ci nous ont permis de stabiliser la situation de nos économies. Certaines réformes s’imposent, bien qu’étant difficiles à faire accepter, en raison de leur impact sur le plan social. Au Gabon, par exemple, nous avons dû fermer certaines agences publiques, car celles-ci étaient budgétivores sans forcément être efficaces.

Propos recueillis par Idriss Linge

 3Idriss

Ndeye Khady Gueye

 

Les secteurs de l'Agence

● GESTION PUBLIQUE

● Finance

● Agro

● ELECTRICITE

● FORMATION

● TRANSPORT

● ENTREPRENDRE

● Mines

● Hydrocarbures

● TIC & Télécom

● Multimedia

● Comm