David Gnonlonfoun, CEO GreenKeeper Africa: « Nous sommes les seuls dans toute l’Afrique à produire un dépolluant industriel »

(Ecofin Hebdo) - Au Bénin, c’est l’une des entreprises les plus innovantes. Greenkeeper Africa, a trouvé le moyen de résoudre trois problèmes d’un coup. L’entreprise transforme la jacinthe d’eau, une plante invasive, en fibre dépolluante pour l’industrie en se basant sur un modèle incluant la population féminine des communes lacustres des Aguégués et de Sô-Ava. David Gnonlonfoun, le cofondateur de la compagnie se confie à l’Agence Ecofin sur le modèle de son entreprise et son quotidien dans un pays où les pouvoirs publics ne parviennent pas toujours à suivre le dynamisme du secteur privé.

 

Agence Ecofin: Comment décririez-vous Greenkeeper Africa?

David Gnonlonfoun: C’est une jeune entreprise qui s’occupe de la valorisation d’une plante invasive, la jacinthe d’eau, et qui essaie de la valoriser en différents types ou produits. Un de nos produits les plus aboutis est une fibre absorbante, qui a la capacité d’absorber différents types de polluants.

« Un de nos produits les plus aboutis est une fibre absorbante, qui a la capacité d’absorber différents types de polluants. »

Elle est déjà commercialisée auprès de différentes industries, que ce soit des BTP, des entreprises pétrolières, ou même dans l’agroalimentaire. On travaille également sur l’alimentation animale, des litières pour l’élevage industriel, la dépollution des sols contaminés, toujours avec cette fibre-là. Mais tout ceci relève pour le moment de la recherche et développement.

 

AE: Comment l’idée est-elle née ?

DG: J’avais travaillé 15 ans ici dans le bâtiment. Lors d’une mission que j’effectuais au Congo, j’ai pris conscience de la problématique de la jacinthe d’eau. On m’a dit à l’époque qu’il allait y avoir de l’exploitation pétrolière à l’intérieur du fleuve Congo et je me suis demandé si avec la jacinthe on ne pouvait pas essayer de traiter la pollution qui en découlerait sachant que, dans mon enfance, ma mère avait recours à des jacinthes pour les toilettes et je savais que cette plante avait cette capacité phyto-épuratoire. Lorsque je suis revenu au Bénin, je me suis laissé emporter par mon engouement pour ce projet. Du coup, j’ai fermé ma société, j’ai commencé à faire des recherches dans ce domaine-là. Ça me paraissait tellement gros que j’ai demandé à Fohla (Fohla Mouphtaou, son associé NDLR) de m’accompagner dans l’aventure. Ça se passait en fin 2013.

 

David Gnonlonfoun jacinthe1

« Nous sommes une entreprise sociale, solidaire. »

AE: Quel est aujourd’hui votre business model?

DG: C’est essayer de résoudre le problème des industriels. Par exemple, je ne souhaite pas qu’on soit vus uniquement comme des vendeurs de fibre absorbante, même si aujourd’hui nous sommes les seuls dans toute l’Afrique à produire un absorbant, mais je veux qu’on essaie d’aller un peu au-delà. Il y a un client que nous avons récemment rencontré qui nous a soumis ses problématiques sur son site, au niveau de son usine. En plus de lui vendre des absorbants, on conçoit des équipements qui vont accompagner notre fibre. Donc derrière, il y a tout un travail de conception de solutions taillées sur mesure.

 

AE: On vous décrit comme une entreprise sociale. A quoi tient cette particularité?

DG: Nous sommes une entreprise sociale. On considère que toutes les dépenses que nous faisons pour améliorer les conditions sociales et environnementales ne sont pas des dépenses vaines, mais plutôt un investissement que nous faisons sur le futur. C’est en cela que je pourrais dire que nous sommes une entreprise sociale, solidaire. En plus de la collecte de la jacinthe qu’on confie aux dames, nous essayons de renforcer notre ancrage territorial en développant de nouvelles activités pour ces femmes, comme la fabrication de compost. On aimerait également développer un programme de micro-entreprises, toujours en leur direction, et pouvoir en assurer le suivi. En gros, jouer un peu un rôle d’incubateur. Je précise qu’on travaille aujourd’hui avec 18 villages, ça représente entre 700 et 1000 personnes qui collectent la jacinthe d’eau pour nous. Les collectrices font sécher les plantes à l’endroit de collecte.

« Je précise qu’on travaille aujourd’hui avec 18 villages, ça représente entre 700 et 1000 personnes qui collectent la jacinthe d’eau pour nous. »

Et nous, après, on va sur place, on achète le produit et on le ramène sur notre site de production. Jusque-là nous produisons environ 10 tonnes de fibres par mois et on espère que la demande va aller croissant.

 

ramassage jacinthe

Nous produisons environ 10 tonnes de fibres par mois.

AE: Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées sur ce projet?

DG: Comme tous ceux qui se lancent dans une aventure entrepreneuriale, on rencontre de nombreuses difficultés, notamment au niveau bancaire. Il faut savoir qu’aujourd’hui on n’est pas du tout accompagnés en matière de financement. En plus, j’ai l’impression que le système n’est pas encore préparé à accompagner le type d’activité que nous menons, dans le domaine industriel.

Un exemple concret: nous avons eu une demande de la mairie de Paris et d’autres clients pour nos produits. On souhaite envoyer une certaine quantité en Europe et on se rend compte qu’on ne peut pas faire de groupage au Bénin, mais qu’on ne peut recourir qu’aux conteneurs. Or cette solution ferait exploser le prix du produit et plombera sa compétitivité sur le marché extérieur. Ensuite au niveau fiscal, si on se base sur ce qui est écrit dans les lois qui régissent tout le domaine de l’environnement et les entreprises qui sont dans tout ce qui est écotechnologie, des entreprises comme les nôtres devraient bénéficier d’avantages fiscaux. Cependant, on constate qu’il n’y a pas de décrets pour accompagner ces lois-là et donc finalement on nous taxe comme tout le monde au lieu de nous accompagner.

  

AE: Produire des fibres absorbantes à partir de la jacinthe d’eau n’étant pas une idée industrielle classique, comment vous-êtes-vous débrouillés d’un point de vue technique?

DG: C’est peut-être pour ça qu’on a mis autant de temps à produire car c’est vrai qu’on n’achète pas un broyeur à jacinthe dans le commerce. Du coup, on a dû mettre en place un gros volet recherche. Par exemple, on achète un broyeur simple et on travaille sur la machine. On essaie de l’améliorer, et ça fait qu’on est en perpétuelle recherche. De la même façon, dès qu’on a un produit, on se dit que ce produit n’est pas encore satisfaisant. Et on se pose plein de questions, on fait plein d’essais. Jusqu’aujourd’hui je ne peux pas dire qu’on est totalement satisfaits de ce que nous avons. On essaie toujours d’améliorer notre produit, avoir un meilleur rendement, etc.

 

AE: Comment Greenkeeper Africa s’est financé jusqu’à présent?

DG: Au départ, ça a été financé sur fonds propres. Après, il y a eu une entreprise qui s’appelle SENS Bénin, qui nous a bien accompagnés sur toute la phase pilote du projet. On a aussi eu la chance de pouvoir remporter un certain nombre de prix, on a reçu quelques subventions qui ont permis de changer un peu d’échelle, et comme ça on est montés.

 

AE: La demande pour votre produit provient-elle essentiellement du Bénin ou d’ailleurs ?

DG: Au Bénin, c’est un produit nouveau et les gens ont malheureusement peu de conscience environnementale, donc il faut sensibiliser  et faire un gros travail commercial. On est quand même satisfaits, parce qu’au début il y a des clients qui trainaient un peu les pieds mais viennent aujourd’hui naturellement vers nous. Mais il faut quand même reconnaître que nos produits s’adressent beaucoup aux industriels et il y a peu d’industries au Bénin. Mais on en était conscients puisqu’on se disait que le Bénin n’est qu’un tremplin vers les autres marchés.

« On a récemment mené un voyage commercial au Gabon qui est un peu plus industrialisé et où les problématiques que nous abordons se posent avec plus d’acuité. On en est revenus avec des commandes.»

On a récemment mené un voyage commercial au Gabon qui est un peu plus industrialisé et où les problématiques que nous abordons se posent avec plus d’acuité. On en est revenus avec des commandes. Ça nous met en confiance, on se dit qu’il y a de la demande. On a été récemment contactés par le président de la chambre de commerce Cameroun qui souhaite nous faciliter les choses au niveau de son pays. Il a pris l’initiative de nous contacter de son propre chef, en passant par le président de la chambre de commerce d’ici, qui, lui, n’avait jamais entendu parler de nous. Donc, la demande est là. Et il faut noter qu’aujourd’hui on n’a même pas encore frappé à la porte du Nigéria, qui sera un gros marché pour nous.

 

AE: En effet, en dépit de la proximité du Nigéria, vous ne semblez pas beaucoup miser sur la sphère anglophone jusque là…

DG: On n’est pas très connus dans la sphère anglophone, pour moi, c’est une bonne chose parce que je me dis que dès qu’on voudra pousser la porte du grand-frère nigérian, ça risque d’aller très vite et on ne sera pas encore prêts. Donc il vaut mieux maîtriser le marché francophone avant d’aller vers le marché anglophone.

« Il vaut mieux maîtriser le marché francophone avant d’aller vers le marché anglophone.»

AE: Quels sont les développements que vous prévoyez pour votre activité?

DG: Dans les mois à venir, on prévoit de se renforcer sur le volet commercial, notamment au Gabon. On envisage de s’ancrer de façon plus sûre la-bas, d’y accompagner le distributeur localement. On va également essayer de se développer dans deux ou trois autres pays, d’ici 2019, et aussi continuer à travailler sur la qualité de notre produit. On n’est pas encore satisfaits mais on est sur la bonne voie. On va s’atteler à améliorer les procédures à l’intérieur, notre process industriel, et poursuivre notre effort dans la recherche et le développement parce qu’il y a un vrai potentiel avec des partenaires à l’extérieur sur ce nouveau type de matériau. Et pour tout ça on a besoin de capitaux.

 

AE: De quelle façon les pouvoirs publics pourraient accompagner une entreprise comme la vôtre?

DG: Ils pourraient nous aider d’un point de vue fiscal dans un premier temps; ça allègerait beaucoup de choses. Il faut néanmoins reconnaître qu’on a plusieurs fois rencontré Mme Claude Borna, en charge de la cité de l’innovation et du savoir [un projet du gouvernement béninois NDLR]. Elle est très intéressée par notre projet, elle a très envie de nous aider sur le volet recherche et développement, je pense que ça se fera. Si c’est le cas, ce sera un vrai appui.

 

AE: Si c’était à refaire, quelles erreurs ne voudriez-vous pas refaire?

DG: Comme toute entreprise, tu as besoin de faire des erreurs pour apprendre, c’est capital. Comme je le disais tout à l’heure, moi j’ai travaillé 15 ans dans le bâtiment en ayant mes propres sociétés. Ça fait partie de ton apprentissage entrepreneurial, il faut tomber pour être capable de mieux se relever et être plus fort. Donc, moi je ne changerai rien.

 

Propos recueillis par Aaron Akinocho. 

 

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